Cassandre Bouilly, céramiste

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Photographies : Rémy Lidereau pour Étonnantes

Cassandre, quel a été ton parcours avant d’être aujourd’hui céramiste ?
Je suis originaire de Mayenne et suis venue à Nantes pour mes études en design textile à LISAA (Ecole de Design et d’Arts appliqués). En cherchant à poursuivre mes études, j’ai découvert une école à Sèvres qui faisait un Diplôme des Métiers d’Arts en céramique. Je n’avais jamais travaillé la céramique jusque là, j’ai passé deux ans là-bas et j’ai eu un gros coup de cœur pour la céramique. J’ai eu mon diplôme en juillet 2017. Je suis restée en région parisienne en travaillant à mi-temps en tant que surveillante et en développant mes créations. Cela m’a permis de me faire connaître sur Paris. J’ai commencé à développer mon activité à Paris et en septembre 2018, je me suis installée à Nantes et me concentre à plein temps sur mon activité de céramiste.

Parviens-tu déjà à en vivre ?
Non je n’en vis pas encore. Heureusement j’ai des aides financières de Pôle Emploi sinon je serais obligée d’avoir une autre activité à côté.

Comment crées-tu ? Toute ta semaine est dédiée à tes créations ?
Oui. Là, après Noël il faut refaire le stock car je n’ai plus beaucoup de pièces en stock. C’est aussi une période un peu plus creuse donc ça me laisse le temps de faire de nouvelles pièces, d’en dessiner. Ce qui est compliqué c’est que je n’ai pas le four. C’est un investissement financier très important et je n’en n’ai pas les moyens. Je vais donc à Millefeuilles, une association qui met à disposition un atelier pour les artistes, au sein duquel il y a un atelier bois et un atelier céramique. On adhère à l’association et ensuite on a accès au four. Je paye à chaque cuisson, en fonction de ce que je mets dans le four.

Comment t’organises-tu alors, entre le façonnage de tes pièces chez toi et leur cuisson à l’atelier ?
Je façonne toutes mes pièces ici, je les enveloppe bien, je les emballe et je les amène là-bas. L’artiste qui gère le four fait la première cuisson puis il me prévient quand c’est prêt et ensuite j’émaille tout sur place. Mais je suis obligée de ramener tout mon matériel pour émailler là-bas et c’est compliqué. Ensuite, il y a la deuxième cuisson, puis je récupère les pièces et les ramène ici.

Tu parlais de Noël tout à l’heure, es-tu contente de tes ventes à cette occasion ?  
Oui pour un premier Noël, ça va, mais je n’ai pas eu l’occasion de faire des marchés de Noël parce que je m’y suis prise trop tard. Sur Paris, il faut s’inscrire un an à l’avance. Là par exemple, j’ai déposé en décembre le dossier pour l’édition 2019 d’Hôtel Bohême, j’attends la réponse. 

Tu n’as pas de site marchand à toi, comment vends-tu alors ?
J’ai démarché pas mal de boutiques sur Nantes, je suis vendue à la Hab Galerie, à l’Inatelier et à l’Atelier du Petit Parc où je suis allée deux semaines avant Noël pour y laisser en dépôt-vente le peu de pièces qu’il me restait. L’Atelier du Petit Parc m’a d’ailleurs proposé de faire à l’avenir des ateliers, des workshops.

Comment fais-tu quand tu démarches les boutiques ? Tu te présentes avec tes pièces ?
Oui ! Je viens avec mon petit sac rempli de pièces !

Cela demande du courage de démarcher et de présenter son travail comme ça !
Oui c’est vrai, mais on prend l’habitude. Au début c’était difficile, surtout que je suis de nature timide. Je vais aussi commencer à chercher des lieux pour organiser des ateliers, des workshops, pour rencontrer du monde.
 


Comment définis-tu tes créations ? Tu en parles comme des « objets du quotidien » : il faut qu’ils soient utiles, utilitaires ?
Oui. Et je fais surtout des pots : j’aime la forme, ce que l’on peut en faire. Je crée surtout des objets qui peuvent avoir plusieurs utilités, plusieurs fonctions. Je fais des tasses qui peuvent aussi être des vases pour des petites plantes. J’essaie aussi de développer de plus grosses pièces et des pots assez gros car j’aime avoir une pièce plus importante en terme de taille et prendre du temps sur ces pièces-là. J’utilise essentiellement la technique du modelage, en faisant tout à la main, je n’utilise pas de tour.

Pourquoi aimes-tu la technique du modelage ?
Parce que j’aime partir d’une boule de terre et voir comment mes mains façonnent la pièce. C‘est un long processus et j’aime le temps que je passe à réaliser des créations de la sorte.

Combien de temps justement mets-tu à faire une pièce à la main ?
Deux à trois heures, sans la cuisson. Sinon j’utilise aussi la technique du moulage, avec des moules que j’ai créés. Pour un moule, j’ai entouré un vase avec de la corde et j’ai moulé l’ensemble. Dans ce moule, je coule ensuite de la terre, sous forme liquide. Je laisse poser quarante-cinq minutes, ce qui va donner l’épaisseur de la pièce. Ensuite je retourne le moule, le plâtre du moule aura absorbé toute l’eau et ma pièce qui en sort est alors à l’état brut. Après je la ponce, je la travaille, je fais les finitions.

Tu te distingues notamment par tes mobiles en céramique, c’est quelque chose que tu souhaites mettre en avant ?
Oui car peu de boutiques me les ont pris. Seulement l’Atelier du Petit Parc et justement ils aimeraient développer un workshop autour de ça.

Ta palette de couleur reste assez réduite : du bleu, de l’ocre, du blanc…
Oui ce sont les couleurs qui m’inspirent. J’ai envie de rester dans ces tons-là. J’ai essayé de développer du rose mais ça me correspond moins. Pourtant ça plait, des boutiques me demandaient des créations roses.

D’où t’es venue l’idée des anneaux que tu accroches aux oreilles de tes pots ? 
Je me suis inspirée des bijoux. On me disait souvent « c’est mignon les petites oreilles de tes pots ». Et en dessinant je me suis dit que ce serait sympa que j’accroche une petite boucle d’oreille.

Tu classes tes créations en « tribus », non en collections.
Oui ! Il y a la tribu corde, la tribu bleue, la tribu oreille percée… Dans chaque tribu j’essaie de ramener de nouvelles pièces, ce ne sont pas des collections que j’arrête, je les enrichis régulièrement. En fait tout est parti de pièces que j’avais présentées pour mon diplôme de fin d’études. Le nom de mon projet était « avoir la tête ailleurs » alors je me suis inspirée de céramiques orientales et je trouvais ça sympa de les appeler tribus : des céramiques, des contenants dans lesquels on peut mettre des objets précieux.

Que ressens-tu lorsque tu vends une pièce ?
Cela fait toujours quelque chose ! Mais je n’ai pas encore eu l’occasion de vendre directement. Soit c’est une boutique, soit c’est sur etsy et je ne vois pas le client, ce qui est un peu frustrant.

Mais tu as quand même des retours des clients ?
Peu finalement, peut-être parce que c’est le début.  Mais j’aimerais avoir une petite photo ou un avis des clients.


Tu te souviens de la première création que tu as vendue ?
Oui c’était à la boutique Leaf Paris. Je leur ai vendu mes pièces de projet professionnel, créées à l’école ! C’était mes premiers bébés, c’etait chouette. Je suis toujours en vente là-bas. Et sinon à un particulier ça devait être à mes proches !

Es-tu satisfaite de ton activité de céramiste ? 
Oui, mais ce n’est que le début. J’ai envie que ça se développe vite, mais il faut que je prenne le temps, ne serait-ce que financièrement.

Comment fais-tu justement ? Parce qu’aujourd’hui tes difficultés sont avant tout financières ?
Oui, j’avais pensé au crowfunding pour acheter un four. Mais en même temps avoir un four ici, dans un appartement, c’est compliqué. J’attends d’avoir mon lieu, j’attends que ça se développe.

Et hormis les difficultés financières, quelles sont les autres difficultés que tu rencontres ?
Ce qui me manque c’est de ne pas rencontrer les clients. Pour le printemps, je recherche beaucoup de marchés de créateurs : Hôtel Bohême, Idées Tendances, Le Brunch des Créateurs

Tu es la plupart du temps seule pour créer et gérer le développement de ton activité : cette solitude ne te pèse pas trop ?
Si. J’ai rencontré Rozenn de Prisme Editions, qui a pour projet de faire un e-shop pour mettre en valeur les créateurs avec qui elle travaille. Elle essaie de mettre en relation ses artisans, d’avoir notre retour d’expérience.

Car pour l’instant tu n’as pas de lien avec d’autres artisans de Nantes ou d’ailleurs ?
Non pas encore. Donc ça va me permettre de rencontrer d’autres artisans, comme les marchés vont me permettre aussi de rencontrer du monde.

Comment es-tu arrivée à Nantes ?
C’est là que j’avais fait mes études donc je connaissais bien la ville. Je ne voulais pas rester en région parisienne et je savais qu’à Nantes il y avait une bonne dynamique au niveau de la création, que je pouvais y faire quelque chose parce qu’il n’y avait pas trop de céramistes non plus. A Paris, il y a de plus en plus de céramistes : c’est comme si tout le monde changeait de métier pour devenir céramiste !

Est-ce que le fait d’être à Nantes t’handicape pour le développement de ton activité ?
Beaucoup de choses se font à Paris, au niveau des boutiques notamment, mais avec elles je communique surtout par email donc si les responsables des boutiques veulent me rencontrer, je prends le train.

Quelle est ta démarche créative ? Tu dessines en premier lieu ?
Je regarde des images d’inspiration dans les expositions, les musées, les magazines. Quand j’ai une petite idée, je dessine.

Tu as toujours dessiné ou est-ce à l’école que tu as développé cette pratique ?
J’ai pris des cours d’arts plastiques au collège. Jai toujours aimé dessiner, sans être très forte, après j’ai laissé un peu le dessin de côté. J’ai fait un bac pro métier de la mode. J’ai touché un peu à tout en fait ! Au début j’étais plus partie pour un métier dans la mode car j’ai bien aimé faire mes études là-dedans mais c’était trop industriel, il me manquait le côté création. Je voulais être styliste ou designer textile, ce qui me plaisait c’était les matières, les couleurs. Et c’est ce que je retrouve dans la céramique : le travail sur les matières, sur les couleurs.

On comprend mieux alors ton travail avec la corde que tu utilises pour tes céramiques.
Oui, j’essaie de lier un peu les deux, de ne pas oublier le textile. C’est quelque chose que je n’oublie pas et que j’essaie de travailler encore, en liant textile et céramique. Il y avait une pièce que j’avais développée qui mettait en lien la corde, le textile et la céramique. : un vase dont le sommet est en corde. C’est un premier prototype, il faut que je le retravaille.

Et le lien avec la mode l’as-tu laissé de côté, au-delà du fait de travailler la corde ?
Oui ! Là je suis complètement épanouie en travaillant la céramique.


Qu’est-ce qui te plait justement dans ton activité ?
Quand je pars de la terre et que je crée un objet. C’est ce qui me manquait dans le textile aussi, je faisais beaucoup d’échantillonnage mais sans faire le produit de A à Z. Alors qu’avec la céramique, je crée complètement une pièce.

Et qu’est-ce qui te plait moins ?
C’est une activité très difficile, on peut être vite déçu. Je peux mettre très longtemps à faire une pièce et à la cuisson, elle ressort fissurée. Il faut être patient et persévérant, ne pas se décourager.

Pour une pièce réussie tu as beaucoup de déchets ?
Parfois sans savoir pourquoi, l’émail ne ressort pas. Ou par exemple pour les assiettes que j’ai développées, j’ai eu plein de ratés. La pièce séchait trop vite et à la cuisson j’avais plein de fissures.  

Qu’est-ce que tes clients aiment dans ton travail ?
Je pense que j’ai un univers bien défini. Ce sont des pièces faites à la main. J’essaie de faire des choses que l’on ne voit pas partout. Petit à petit les gens prennent conscience de la différence du fait main et cherchent une histoire derrière un objet.

Comment décrirais-tu ton univers ?
C’est vraiment un travail sur la texture, sur la matière et sur les couleurs.

A quoi penses-tu lorsque tu crées ?
Parfois j’écoute un podcast, mais le plus souvent je suis sur le fait, je ne pense pas trop à ce qu’il y a autour, je suis concentrée. Sauf quand je suis dans une période où il y a plein de choses auxquelles penser ! 

Quel est ton rythme de travail ?
Ça dépend. Là je dois honorer une commande pour une nouvelle boutique qui va ouvrir à Bordeaux, donc je crée plutôt « à la chaine »  mais quand je suis dans une étape de recherche, je crée une ou deux pièces pour tester. Je fais des prototypes pour voir si ça sort bien ou pas, si ça plait aussi. Si je vois que ça marche, je continue et je lance la production.

Pour 2019, ton gros projet est de continuer à démarcher des boutiques? Oui et aussi rencontrer mes clients. C’est important pour ceux qui achètent de voir qui il y a derrière les créations. J’espère qu’un jour je pourrai en vivre. Je fonce et j’y crois. C’est important d’y croire et je vais tout faire pour que ça marche, pour développer mon activité. J’aimerais aussi avoir mon propre site internet, où les gens peuvent acheter directement dessus.

En travaillant de chez toi, parviens-tu à trouver des moments pour te déconnecter de ton activité ?  
Non c’est difficile, donc j’ai hâte d’avoir un lieu à moi pour sortir de la maison et pour donner des cours, pour faire des workshops.  

Instagram @ Cassandrebouillyceramics

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