Découvrez le premier numéro de la revue ÉTONNANTES, ici : Étonnantes N°1
Photographies : Rémy Lidereau pour Etonnantes
Elle est un remède à la mélancolie. Une heure en sa compagnie et l’on est heureux pour les vingt-trois heures suivantes. Anouk Autier parle et tout s’anime ; ses gestes élégants, ses phrases percutantes, son regard pétillant, elle les tient assurément de sa nature que l’on devine entière et généreuse mais aussi de son passé de comédienne et metteure en scène pour le théâtre. Car si Anouk Autier est aujourd’hui une « conteuse d’histoire florale » comme elle se définit elle-même, les fleurs n’ont pas toujours été son seul moyen d’expression. Hier il y eut les textes des dramaturges, les gestuelles des comédiens, les scénographies de pièces de théâtre à diriger, penser, imaginer. Aujourd’hui il y a les fleurs du bien : celles avec lesquelles Anouk embellit le quotidien, imaginant des bouquets d’émotions, contant des histoires hautes en couleurs. Des histoires florales bien sûr, des histoires humaines surtout. « Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir » écrivait Matisse. Puisse-t-il y avoir des Anouk Autier partout, le monde n’en serait que plus beau. Rencontre avec une créatrice de bonheur.



Tu t’apprêtes à fleurir un mariage demain ?
Oui je continue à faire des mariages parce que c’est le plus intéressant financièrement parlant mais j’en ai beaucoup moins cette année : je n’en n’ai que quinze alors les années précédentes j’en avais quarante-deux ! Je ne pouvais plus tenir le rythme avec mes deux enfants, ce n’était plus possible et quand je commençais à avoir cinq ou sept mariages par week-end, ça devenait ingérable. Donc j’ai préféré réduire le nombre et maintenant ce que j’explique aux mariés quand on se rencontre c’est qu’ils me choisissent mais je les choisis aussi un peu en quelque sorte. Il faut qu’il se passe quelque chose entre nous, ce qui est aussi plus intéressant pour eux car aujourd’hui il y a plein de fleuristes qui peuvent leur faire des propositions très chouettes.
Comment choisis-tu les mariés avec qui tu souhaites travailler alors ?
C’est un peu l’alchimie mais forcément le projet et leur histoire comptent ! Je viens du milieu du spectacle et c’est important pour moi qu’il y ait une petite musique quand je travaille les fleurs. Evidemment je veux que ce soit beau mais pas seulement. Par exemple, je travaille avec des mariés qui viennent du Canada et pour eux c’était très important qu’il y ait des fougères donc on a trouvé les mêmes que celles de Calgary d’où ils étaient. Ils ont aussi glané des choses que j’installerai sur les tables, comme des clins d’œil. Les fleurs sont la matière première avec laquelle je vais dire quelque chose. Pour un autre couple pour qui j’ai imaginé une décoration « sortie de plage », j’ai demandé aux futurs mariés d’aller simplement ramasser quelques petits chatons sur la plage, ce n’est pas grand chose mais c’est important qu’ils s’engagent aussi dans leur décoration. Il faut vraiment que ce soit des projets comme ceux-là pour que je continue à faire des mariages.
Sur ton site internet, tu expliques en effet qu’il y a trois domaines à ton activité : le stylisme floral, les mariages et des grosses installations comme les Floralies de Nantes pour lesquelles tu as fleuri plus d’une quinzaine de lieux publics à Nantes. C’est une volonté de ta part de différencier tes différentes activités ?
C’est plus facile pour que les gens comprennent ce que je fais. Ce qui est un peu compliqué c’est que sous le nom de fleuriste il y a beaucoup de choses : il y a le « Monceau Fleurs », il y a ceux qui ont des ateliers mais font surtout des mariages et encore d’autres profils. Je suis de plus en plus contactée par des agences de communication donc c’est important pour eux qu’ils puissent se dire que je ne suis pas que fleuriste mais que je peux aussi faire du stylisme et du set design.



Le stylisme est donc arrivé dans ton activité par des demandes extérieures ?
Oui, par des demandes de marques qui voulaient que je mette en valeur leur univers à travers le végétal, comme avec Elodie de la marque de bijoux l’Honorable. Et de fil en aiguille, j’ai eu de plus en plus de demandes à ce sujet donc j’ai décidé d’en parler vraiment surtout que c’est quelque chose qui me plaît : il faut raconter une histoire, je suis plus libre en faisant ça car c’est pour de la photo, pour un instant donné…
Tu travailles différemment les fleurs quand tu prépares un mariage ou un shooting photo ?
Ah oui complètement. Pour un shooting, il n’y a pas de contraintes de durée ou de quantités comme sur un mariage : pour une photo on peut faire une superbe image avec trois grandes palmes alors que si l’on veut faire ça pour un mariage, il en faut 30 ! C’est d’ailleurs un peu le piège car les mariés regardent des inspirations sur Internet et n’arrivent pas à se projeter dans la réalité.
Donc ce sont vraiment deux activités de mon métier très différentes. Et j’aime les deux parce que je suis avant tout artisan, ce qui est vraiment une chose qui me tient à cœur. Je fais l’un des rares métiers artisanaux où il est possible de monter une boutique sans CAP mais pour moi c’était important de recevoir une formation, même si j’étais en reconversion je voulais aller en apprentissage et pouvoir apprendre pour mieux déconstruire ensuite et pouvoir transmettre ce que j’ai appris, aussi. Car j’ai déjà eu pas mal d’apprentis que j’ai formés et cela force à avoir un regard un peu différent sur son travail quand on doit expliquer et transmettre.
La fleur est pour moi une matière première pour raconter quelque chose : pour raconter des gens, une histoire, une marque…
Anouk Autier
Tu étais comédienne et metteure en scène, comment es-tu venue aux fleurs ?
Sur « La Dispute » de Marivaux ! On monte la pièce et on se rend compte qu’on veut du végétal en scénographie, on ne voulait pas de faux lierre ou autre, on voulait travailler avec du vrai végétal. J’ai alors commencé à travailler le végétal sur cette scénographie-là. Il y avait une fleuriste en bas de chez moi donc je me suis dit que j’allais faire des stages chez elle car c’était important pour moi de savoir comment elle faisait. J’ai donc continué mon activité et toute l’année j’ai continué mes stages chez elle parce qu’on s’est bien entendues, et un jour elle me dit « passe ton CAP ! ». Je l’ai passé en candidate libre en me disant que si je l’avais c’était bien et sinon tant pis ! Et là il y a eu un moment un peu dur parce que j’ai quitté la compagnie de théâtre pour laquelle je travaillais et une famille de fleuristes dans le Sud Est, meilleurs ouvriers de France, cherchaient une apprentie. C’était une période un peu compliquée de ma vie, j’avais plus de 20 ans donc j’étais plus chère que les autres, j’avais passé le CAP en candidate libre, mais j’ai postulé et ils m’ont prise ! J’ai énormément appris avec ce fleuriste très connu, notamment car il fleurissait le Sofitel Miramar de Biarritz. C’était un style très classique mais j’ai appris des techniques. Je ne suis pas une grande technicienne mais j’ai vite compris que j’avais plein d’idées et que si je voulais les réaliser, il me fallait la technique. Et pendant mon apprentissage je me suis rendue compte que je voulais partir dans des trucs délirants mais je ne savais pas comment les réaliser, donc c’était un peu de bric et de broc !



Ce que l’on vous apprend en CAP est assez traditionnel et classique, pour travailler dans des boutiques de fleurs par exemple ?
Oui complètement. Le problème c’est que dans les Centres de Formation des Apprentis il y a trente ans de retard, je le vois avec les apprentis : elles travaillent les mêmes fleurs de septembre à juin, il n’y a pas de compost…
A quoi ce retard est-il dû ?
Il y a deux mondes dans la fleuristerie : le monde des fleuristes qui ont des boutiques, très traditionnelles et qui peuvent être très très bons mais qui ont un style très classique, mettent trois à cinq variétés de fleurs dans le bouquet et pas plus, avec telles sortes de variétés… Et puis depuis quelques années, il y a eu une vague de filles en reconversion professionnelle qui ont un sens esthétique parce qu’elles sont allées chercher des choses ailleurs, qui ont d’autres influences et qui se mettent plutôt en atelier. Il y a donc ces deux univers de la fleur mais qui ne se rencontrent pas trop !
Tu n’as alors pas de lien avec des fleuristes classiques ?
Si un peu parce que par exemple je suis l’une des rares qui ait un atelier et forme au CAP, car normalement les apprentis sont plutôt formés dans des boutiques ; et aussi parce que j’ai été juré aux Floralies. Mais ce sont vraiment deux univers différents, deux sortes de fleuristes qui s’appellent pareil et évoluent l’un et l’autre en même temps.
La clientèle arrive à faire la distinction entre les deux ?
Oui je pense qu’on n’a pas du tout la même clientèle. J’ai plus de clients professionnels mais globalement les particuliers qui viennent me voir me connaissent pas Instagram ou par le bouche à oreille, c’est très confidentiel. Pour me commander un bouquet il faut quand même d’abord me trouver sur Internet puis me contacter car je n’ai pas d’e-shop… Il faut le vouloir ! Pour les mariages ce sont surtout des étrangers ou des parisiens mais pas beaucoup de nantais qui me contactent.
Pourquoi ?
Déjà parce que les mariages que je fais ne représentent pas la majorité des mariages en France : la majorité des mariages ne se passe pas dans un château et les mariés prennent un peu de fleurs mais pas beaucoup. La fleur est un produit de luxe et je choisis de travailler avec des fleurs de jardin par exemple, qui coûtent de l’argent et à Nantes, les gens, comme les hôtels d’ailleurs n’ont pas envie de dépenser autant d’argent pour les fleurs. Alors que dans le Sud Est, le budget mariage est trois fois plus élevé qu’à Nantes par exemple. Mais ce qui m’anime et me fait vibrer c’est que la fleur soit une matière première pour raconter une histoire, pour retrouver des formes théâtrales. Il y a trois ans par exemple, on avait fait le projet Mutatis avec Ingrid Biraud et Ségolène Sauret dans une maison en travaux : on avait cassé un mur, j’avais mis du terreau par terre, de la mousse, un arbre renversé, quelqu’un jouait du violoncelle… C’est vraiment ce que je veux faire, ce qui me fait vibrer. C’est un peu ce qu’ils m’ont proposé avec Les Floralies, avec beaucoup de contraintes parce qu’il fallait fleurir énormément de lieux en très peu de temps et c’est un peu dur d’amener les clients vers une forme culturelle avec une histoire à raconter mais ce sont vraiment des choses vers lesquelles j’ai envie d’aller.
C’est lié à ton vécu de comédienne et ton expérience dans le théâtre ?
Oui je pense car pour moi la fleur c’est vraiment une matière première pour raconter quelque chose : pour raconter des gens, une histoire, une marque… Bien sûr c’est beau mais pas seulement.



Qu’est-ce que les fleurs te permettent de raconter que ne pourrait pas un autre médium ?
Je pense que d’autres médiums le permettraient simplement c’est avec celui-là que je me suis sentie bien. Par exemple je travaillais avec des gens, des comédiens, là je me retrouve toute seule dans un atelier de dix mètres carrés, en vrai je ne suis pas vraiment toute seule parce que les fleurs sont aussi du vivant : une fleur aura cette forme-là et celle d’à-côté n’aura pas la même forme, pourtant c’est la même fleur ! Donc elles et moi on travaille un peu aussi ensemble.
Tu travailles avec tes fleurs comme tu travaillais avec tes comédiens ?
Non ce serait exagéré ! Mais en tout cas c’est du vivant, on collabore, il y a quand même cette notion-là. On nous apprend pourtant à tirer sur les tiges des fleurs pour qu’elles soient bien droites mais moi je cherche à ce qu’elles partent dans tous les sens : c’est aussi ça qui m’a plu dans le végétal. Mais en réalité j’aimerais aussi bien faire des instruments de musique ou d’autres choses ! En fait j’aurais bien aimé être apprentie toute ma vie ! Alors j’ai choisi les fleurs parce que c’est du vivant, c’est une matière qu’on façonne mais qui fait aussi ce qu’elle veut.
J’ai choisi les fleurs parce que c’est du vivant, c’est une matière que l’on façonne mais qui fait aussi ce qu’elle veut.
anouk autier
Ce n’est pas frustrant de travailler une matière périssable ?
Non parce que pour moi ce qui est important, et cela vient du théâtre qui est un art éphémère, c’est qu’il va se passer quelque chose pendant un temps donné : on achète un bouquet parce qu’on avait envie de se faire plaisir, et la fleur va s’épanouir, va dégager plus de parfums et elle va ainsi amener autre chose, puis elle va commencer à se flétrir et à amener encore d’autres choses et ce qui va rester en nous ce sont toutes ces sensations que l’on a eues. Mais ce n’est pas un problème pour moi que les choses passent, c’est ainsi, elles évoluent et pour moi ce n’est pas la fin de la fleur quand elle est fanée : on peut la faire sécher, la retransformer en compost et j’ai aussi des bouteilles de jus de fleur ! C’est du compost liquide avec lequel je vais faire pousser d’autres fleurs.
Après c’est vrai que comme au théâtre, on travaille dur pour un temps donné pendant lequel il va se passer quelque chose et ensuite cela s’en va. Mais j’ai beaucoup de mal à travailler sans commande, je ne sais pas pour quoi c’est fait, pour qui, quelle histoire il y a derrière… Ce n’est pas très vendeur de dire ça mais de toute façon je ne suis pas très bonne commerçante !



Tu n’as pas besoin de ça apparemment au vu de tes sollicitations ?
Je ne sais pas si je suis très sollicitée ! En fait j’aimerais avoir plus de projets culturels et artistiques et c’est difficile parce qu’en arrivant à Nantes en 2012 par amour, je n’avais pas de réseau dans l’art et la culture. J’ai eu ma fille en 2013 et ouvert ma société la même année et au début je me suis dit qu’ayant un bébé, j’allais faire mon activité de fleuriste en sous-marin dans le garage et finalement ça a grossi ! Je n’ai pas de réseau à Nantes pour faire le théâtre que j’aime alors que j’ai vraiment envie d’y retourner, de faire des installations qui peuvent prêter à des formes théâtrales ou dansées et que ce soit libre.
En tant que fleuriste on est commerçant sauf que j’ai du mal à me définir ainsi ! Par exemple j’aimerais être fleuriste de rue : mettre une table avec mes fleurs dehors, faire une performance et les gens donnent s’ils en ont envie ! J’ai envie de faire comprendre aux gens que les fleurs ne sont pas que des choses que l’on va acheter, consommer.
Tu penses qu’il pourrait y avoir un public pour ce type de performance ?
Oui je pense car il y a trois ans par exemple j’ai travaillé sur un projet aux Jardins des Plantes pour lequel on avait fait une exposition avec des plantes hybrides, avec des comédiens du Royal Deluxe : on avait fait une machine que j’avais végétalisée. Depuis que je suis à Nantes, il y a quand même des projets qui me ramènent vers le milieu du spectacle et à chaque fois, les gens viennent ! Mais le problème reste le financement et pour la culture, il n’y a pas d’argent… Donc malheureusement au bout d’un moment c’est un peu compliqué, il faut s’auto-financer mais c’est lourd.

Quel est le retour sur investissement quand tu fais ce genre d’installation ?
Il y en a mais le problème est qu’il faut quand même manger et faire vivre nos deux enfants. Et c’est pour ça que je fais des mariages qui me rapportent de l’argent, pour pouvoir ensuite faire des projets plus culturels. C’est un peu compliqué parce que d’un côté je pourrais prétendre à dépendre de la Maison des Artistes pour mon travail de plasticienne et de l’autre je suis artisan, donc il faut toujours que je navigue entre les deux.
Tu souhaiterais complètement arrêter les mariages ?
Cela dépend des histoires de chaque mariage mais c’est vrai que là j’ai besoin d’avoir des projets culturels. Donc il me faut des mécènes ! Il y a aussi la notion de grand décor, de créer un univers pour que les gens viennent qui me manquent. Et pour les Floralies, j’avais demandé à ce que sur quelques uns des dix-huit lieux à fleurir, je puisse travailler avec d’autres fleuristes car sinon on se rencontre pas ! Donc on s’est retrouvés pour travailler ensemble sur la fontaine de la Place Royale et ça a été un super moment d’échanges, de rencontres, d’écoute. Je ne suis pas commerçante donc je ne fonctionne pas comme ça et j’étais super contente de rencontrer des filles qui travaillent dans leur atelier ou leur boutique, que je ne vois jamais ou pire qui pourraient être vues comme des « concurrentes ».
Tu ressens justement qu’il y a beaucoup de concurrence dans ton métier ? Comme tu le disais, il y a de plus en plus de femmes qui se lancent en reconversion et réinventent l’univers de la fleur.
Je trouve ça bien qu’on soit de plus en plus nombreux parce que ça veut dire qu’on en entend parler et que l’on voit de plus en plus de choses différentes. Après il y a des styles très différents, il y a des choses qui vont nous intéresser ou pas, ça va marcher humainement ou pas mais on ne va pas forcément perdre des clients. Ce qui m’embête un peu c’est la question de l’éco-responsabilité : c’est un enjeu pour tout le monde aujourd’hui et surtout pour nous les fleuristes car c’est un métier qui n’est pas très éco-responsable à la base et la façon dont il est enseigné ne l’est pas du tout. Du coup on essaie tous de plus en plus d’avoir des composts, de travailler des fleurs de saison, mais le point noir de ça c’est que l’éco-responsabilité devient aussi un argument commercial et que du coup on perd un peu de sens critique. Il y a de nouveaux fleuristes qui vont se monter en disant ne travailler que de la fleur de saison et en étudiant bien on réalise que les fleurs proposées ne sont pas vraiment de saison… Je trouve que c’est très délicat cette histoire.
Je suis en train de monter un projet de production florale sur Nantes. Je ne suis pas agricultrice et je n’ai pas envie de monter le truc et le garder pour moi mais je réunis des acteurs pour le faire et c’est vraiment un projet que j’ai envie de porter et qui selon moi est pertinent. A Paris, des filles ont réussi à faire des terrains comme ça derrière le Père Lachaise par exemple parce que comme ici, il y a des terrains qui sont complètement viciés par des années d’usine. A Nantes il y a tout un tas de terrains d’usines désaffectées sur lesquels ont ne peut pas faire pousser de légumes, alors semons des fleurs !



Car où te fournis-tu ici ?
J’ai des petites fermes florales comme Les Vergers du Bois Macé, des maraichers qui ont un terrain en jachère tous les mois, ils sèment des trucs, tu y vas, tu coupes, tu paies au poids et la fleur tient vraiment différemment.
Tu y trouves tout ce que tu souhaites ?
Je glane des trucs à droite à gauche par exemple dans les forêts autour de Nantes. Mais pour les autres fleurs que je dois avoir, quitte à se fournir en Hollande, je préfère passer en direct par un producteur hollandais qui du coup va se faire un peu plus d’argent que de passer par le MIN et par tous les intermédiaires. Au moins je donne directement au producteur.
Mais ce n’est pas restrictif dans ton activité et dans ce que tu veux faire ?
Non c’est un choix mais c’est important pour moi d’être honnête, de dire comment je me fournis. Bien sûr ce n’est pas totalement éco-responsable mais au moins je suis honnête. C’est pareil pour les fleurs séchées, c’est super mais quand elles sont teintées, ce n’est pas que du colorant alimentaire. Donc gardons du sens critique quand même : l’éco-responsabilité est devenu un argument de vente que l’on brandit pour faire vendre mais il faut faire attention.
Comment fais-tu au quotidien pour être en accord avec tes valeurs éco-responsables ?
J’ai une poubelle qui ne contient que du végétal, on a un petit compost que l’on vide chez les parents. J’essaie évidemment de ne pas prendre des fleurs qui ne sont pas de saison, qui ne tiendraient pas de toute façon et sont hors de prix. Je vais chercher de la petite fleur qui est moins utilisée, je vais faire des tests avec. Je travaille avec Cèdre Blanc, un paysagiste jardinier qui m’appelle quand il va couper des choses. Voilà comment on fait : on essaie d’avoir un petit réseau de choses qui fait qu’on va quand même tendre vers un travail plus éco-responsable. Mais par exemple d’avoir choisi de n’avoir qu’une poubelle à végétaux dans l’atelier, forcément je vais mettre dans la poubelle de la maison les plastiques, les élastiques qui entourent les fleurs…


Quand est né ton projet de production de fleurs à Nantes ?
Il démarre ! C’est un projet qui me tient à cœur, j’ai commencé à en parler avec des fleuristes qui évidemment sont intéressés et on commence à en parler à la Mairie. Mais c’est quand même de l’agriculture et il faut connaître ses limites donc je veux m’entourer de gens qui pourront le porter au quotidien par la suite, j’espère vraiment que ça va se faire, que ce soit pour les professionnels comme pour les particuliers.
Le fait que les fleurs ne soient pas comestibles permet d’en planter n’importe où ?
Oui c’est plus facile et c’est d’ailleurs le vrai problème des fleurs : il n’y a pas de traçabilité sur les fleurs que l’on utilise en grande majorité car ce n’est pas comestible justement. Donc ils utilisent encore du Roundup à fond sur les fleurs, il y a des fleuristes qui ont des mains dans un état horrible parce qu’ils touchent du poison tous les jours, on ne s’en rend pas compte ! La traçabilité nous semble évidente maintenant quand on achète nos légumes mais il faut que ce soit pareil pour les fleurs. Le grand cheval de bataille des fleuristes a été la mousse florale qui évidemment est en train de disparaitre mais les fleurs en elles-mêmes peuvent être du poison ! On peut vaguement savoir d’où viennent les fleurs mais on ne sait pas comment elles sont produites. Donc il faut qu’on arrive à monter ce projet de production de fleurs à Nantes ! Mais pour ça il faut garder son sens critique et dire les choses telles qu’elles sont, ce qui va comme ce qui ne va pas.
Je veux faire comprendre aux gens que les fleurs ne sont pas que des choses que l’on va acheter, consommer.
anouk autier
Au-delà de ça, quels sont tes obstacles à surmonter au quotidien ?
Un problème commun à tout le monde : le fait qu’il y ait besoin d’argent pour vivre ! C’est quand même globalement le problème et s’il n’y avait pas ce souci, je serais dehors en train de faire des performances florales, avec les fleurs que j’ai choisies. C’est un vrai problème, je ne suis pas du tout bonne commerçante et la rentabilité est une chose qui me dépasse un peu ! Les mariages sont un bon exemple parce que ce sont des budgets énormes mais sur lesquels une grosse partie part dans l’achat des fleurs et une autre pour la personne que je paye pour m’aider. A la fin, il ne me reste pas grand chose alors que mes clients ont payé une fortune. C’est pour ça que je faisais quarante-deux mariages par saison. C’est aussi pour ça que je veux retourner au culturel, au moins tout le monde pourra en profiter et ce n’est pas le même rapport aux autres. Pour moi le plus gros obstacle est bien celui-là ! Je trouve cela dur que dans tous les boulots la première question que l’on se pose est : est-ce que ça va être rentable ou pas ?
Tu penses que tu pourrais réussir à vivre un jour de tes installations culturelles ?
Je l’espère. Je crois que les choses ont beaucoup bougé, les gens n’en peuvent plus, on ne peut plus réfléchir avec la notion de rentabilité en premier. Donc quand on aura fait la révolution, je pourrais vivre en travaillant dans le culturel !
Sur ton site tu te définis comme « créatrice d’émotions ». Que ressens-tu comme émotions toi, lorsque tu crées ?
C’est Ingrid Biraud qui a trouvé cette expression de « créatrice d’émotions ». Quand j’ai monté mon projet il y a cinq ans, j’ai rencontré une graphiste qui venait d’arriver de Paris : Ingrid, qui a fait des identités visuelles de grandes marques et en arrivant à Nantes elle était un peu déprimée en venant de Paris. Mais elle était complètement hors budget pour moi. Heureusement on a eu un coup de foudre réciproque et on a fait du troc pendant trois semaines : elle est venue à l’atelier, je l’ai formée parce qu’elle avait besoin de faire autre chose et en échange elle a fait mon identité visuelle. Et c’est elle qui a trouvé cette phrase « créatrice d’émotions ». Pour moi les fleurs sont vraiment une matière première, pas une fin en soi. Je récupère plein de trucs, j’amasse. J’avais par exemple un vieux cactus fané et avant de le jeter j’ai récupéré ses épines que j’ai collées sur des lunettes de soleil cassées. Et là par exemple j’ai envie de trouver une vieille sculpture et de coller des épines dessus ! Pour moi le végétal est vraiment une matière première pour créer une œuvre, pour faire autre chose et le but, la finalité est qu’il y ait un spectateur. J’ai vraiment beaucoup de mal à créer juste pour moi ou sans histoire. J’adore les collaborations, comme avec l’illustratrice Delphine Vaute avec qui on avait fait des couronnes de fleurs.

Qu’est-ce qui te rend heureuse dans ton activité ?
La liberté ! Depuis toute petite je travaille à l’affectif. C’est un peu compliqué pour moi de bosser avec des horaires fixes même si je n’ai jamais travaillé comme ça car j’ai tout de suite intégré une compagnie. En fait quand j’étais à la fac j’ai fait un double cursus Lettres Modernes / Arts du spectacle et la compagnie qui nous formait au Bac Théâtre m’a prise avec elle et je suis alors partie en Italie. On travaillait en Italie et à Marmande. C’est vraiment quelque chose qui me convient de travailler non stop pendant deux semaines comme en résidence où l’on ne fait que ça et après par contre de pouvoir être libre. Mais il n’y a pas de secret, pour pouvoir faire ça il faut être indépendant. Mais ce qui restreint quand même ça c’est le fait d’avoir des enfants.
Comment t’organises-tu alors avec tes deux enfants ?
Ma fille de cinq ans n’a jamais eu de vacances l’été. Cette année j’ai trois semaines ! Les étés passés je faisais des mariages et mes enfants venaient avec moi. Pour ma fille Frida j’ai fait un projet au restaurant La Cigale de Nantes en étant enceinte jusqu’au cou et j’ai repris quand elle avait trois semaines. Ce n’était pourtant pas du tout le moment pour moi de reprendre mais j’ai dû le faire à cause de l’argent. Donc c’est compliqué pour mes filles car leur maman travaille tout le temps. Ce qui est bien c’est qu’elles sont là avec moi. Je plaisante avec ça mais ma fille de cinq ans travaille super bien quand elle est là ! Elle est hyper minutieuse, ne m’a jamais cassé un vase. La toute petite ne marchait pas encore lors des mariages de l’année dernière alors je la posais ou je la portais dans le dos pour travailler. D’un côté elles me voient travailler tout le temps mais de l’autre elles sont aussi tout le temps avec moi… Mais je commence à apprendre que les filles ont besoin de temps. On part une semaine cet été et ce n’est que pour elles !



Retrouvez le travail d’Anouk Autier sur son site internet : anoukautier.com
et son compte Instagram @anoukautier