Elle parle comme elle cuisine : de manière franche, honnête, sans emphase. L’essentiel. Dans sa bouche comme dans ses assiettes. Dire les choses comme elles sont, proposer des produits tels qu’ils sont : simplement bons parce que sélectionnés avec soin, simplement bons parce que sublimés avec talent. Anne-Lise Genouël aurait pu faire carrière dans la chimie mais aux pipettes et aux laboratoires, elle a préféré les marmites et le zinc, les coups de feu et les fulgurances créatives.
À dix-huit ans, elle opérait déjà une reconversion professionnelle, quittant les paillasses des chimistes pour les plans de travail des chefs étoilés.
À vingt-huit ans, elle ouvrait son premier restaurant au centre de Nantes.
À trente ans et après seulement deux ans d’activité, elle permet à Imagine de décrocher sa première mention au sein du guide Gault & Millaut.
Oui, en 2019, on peut ouvrir son propre restaurant en ayant moins de trente ans et en étant une femme. Interview.

Que faisiez-vous avant d’ouvrir Imagine en octobre 2017 ?
J’ai travaillé au restaurant L’U.Ni, à Nantes et suis restée à Paris pendant sept ans pour y faire mon école de cuisine et des stages dans quelques Maisons. Dès que j’ai pu, j’ai fui Paris ! C’est une ville que j’aime visiter mais que j’aime moins pour y vivre. J’y ai travaillé au sein de restaurants étoilés mais pas seulement car je ne me plais pas forcément dans ces grosses structures. Je préfère travailler dans des petits restaurants où l’on est deux ou trois en cuisine, c’est beaucoup plus formateur. Quand on travaille dans des grosses brigades, on est assignés à une tâche bien précise comme par exemple faire de la purée de pommes de terre tous les jours pendant une heure… Pour moi qui déteste la routine, c’est très difficile ! J’ai dû le faire pendant mes stages parce qu’il s’agit du chemin plus ou moins obligatoire à suivre mais travailler dans une petite structure, être plus libre, plus sur la création, c’est ce qui me convient. J’ai notamment eu la chance de travailler pour Stéphane Duchiron, un chef à Paris qui m’a offert de très belles opportunités. Il avait un restaurant qui s’appelait « Les Fougères », il a ensuite travaillé pour l’hôtel Mariott où je l’ai suivi, et il est aujourd’hui chef au Château de Versailles avec Alain Ducasse. Je suis partie à ce moment-là de Paris, mais je l’aurais bien suivi à Versailles ! Mais il faut savoir couper le cordon à un moment donné. C’était formidable de travailler avec quelqu’un qui m’a dit « maintenant la pâtisserie c’est toi qui t’en occupes, tu as carte blanche, tu me fais juste goûter avant de mettre le plat à la carte ». J’étais alors tout juste diplômée et cela a été une vraie chance d’être formée auprès de lui.

Travailler auprès de grands chefs est-il plus formateur que de suivre les cours d’une école de cuisine ?
J’ai fait le « Bachelor » de l’école de cuisine Ferrandi qui est l’équivalent d’une licence sur trois ans. Mais j’ai un baccalauréat scientifique après lequel j’ai commencé une année d’études de Chimie donc rien à voir avec la cuisine ! J’ai toujours aimé la création et la cuisine mais de là à franchir le pas pour en faire mon métier, il y a quand même une étape. Pendant mes études de chimie, j’ai fait un stage à Lorient au restaurant « Le Jardin Gourmand », auprès d’une femme cheffe ce qui est assez rare et cela a été très formateur. À la fin du stage, je savais que je voulais en faire mon métier. Je ne sais plus comment j’avais réussi à négocier une convention de stage pour aller dans un restaurant alors que j’étais en études de chimie ! Cela peut sembler complètement absurde mais finalement cela ne l’est pas tant que ça parce que travailler en cuisine c’est aussi comprendre les choses, ce n’est pas simplement faire de la cuisine mais aussi essayer de comprendre ce que l’on fait.
Est-ce qu’il est encore difficile quand on est plutôt bonne élève comme vous l’étiez, de s’avouer à soi-même et d’avouer à son entourage que l’on veut suivre une carrière professionnelle dans la cuisine ?
Longtemps les cuisines ont été un peu considérées comme une voie de garage : vous n’êtes pas bon à l’école alors vous serez fleuriste, garagiste, coiffeuse ou vous travaillerez dans la cuisine… Cela semble très caricatural mais pour ma génération c’était vraiment ça, la vision des choses ! N’étant pas mauvaise à l’école, mes parents m’ont dit de suivre une filière S. Pourtant je ne savais pas quoi faire avec cette formation ! Je suis passée par toutes les possibilités qu’offrait une filière scientifique : vétérinaire, chimiste… Mais je me suis rendue compte que je ne me plaisais pas du tout dans un laboratoire et que j’avais besoin d’un métier « concret ». Comprendre la matière c’était bien, mais j’avais vraiment envie de la travailler, d’en faire quelque chose. Laisser tomber la possibilité d’une carrière « intellectuelle » pour une carrière manuelle n’était pas évident. Au départ mes parents n’étaient pas forcément pour. Ma mère adore cuisiner mais elle avait peur que je m’en dégoûte vite et qu’il ne soit plus possible ensuite de revenir en arrière.
Car entre la passion de la cuisine et le fait d’en faire son métier, la différence est grande !
Oui tout à fait. Mais aujourd’hui cela fait dix ans que je suis dans le métier et pour rien au monde je ne regrette, bien au contraire je m’éclate !

Vous avez toujours cuisiné ?
Quand j’étais enfant je faisais des madeleines, des gâteaux au chocolat… mais toujours plutôt des desserts. A l’époque on ne parlait pas trop de pâtisserie de restaurant et moi j’avais peur d’avoir une boutique de pâtisserie à cause de la routine que cela impliquait. J’ai fait un stage au sein d’une pâtisserie et au-delà des horaires très dur avec un démarrage à 4h du matin, c’est tout le temps la même chose : une personne ne fait que des pâtes toute la journée, une autre ne fait que les mousses, etc. Au bout d’une semaine de stage, j’ai réalisé que ce n’était pas ce que j’avais envie de faire.
La cuisine traine encore une image assez négative sur les conditions de travail, avec la hiérarchie à respecter, les potentielles humiliations dont on entend parler… Vos différents stages au sein de cuisines ne vous ont pas découragée ?
J’ai commencé par le meilleur en terme d’équipe, de management, de façon d‘apprendre au sein du restaurant « Le Jardin Gourmand » de Lorient : j’ai appris auprès d’une cheffe qui prône une cuisine du marché, travaille dans une ambiance très familiale, avec les mêmes personnes depuis des années. En commençant par eux je n’ai donc pas été dégoûtée du métier, bien au contraire, cela m’a encouragée. Juste après eux, j’ai fait un stage qui aurait pu me dégoûter du métier mais grâce au fait d’avoir connu une autre expérience avant, je me suis dit qu’il n’y avait pas que ce côté noir dans la cuisine mais qu’il y avait aussi de belles personnes.
Mais tout ce que l’on peut entendre sur la difficulté du travail en cuisine est-il une réalité ?
Oui quand même : on est debout pendant de nombreuses heures par jour, physiquement il faut tenir le coup. J’étais très sportive en étant jeune donc cela a aidé mais ce sont aussi des habitudes à acquérir. Dans les premiers temps par exemple, quand on part quelques jours en vacances et que l’on revient au travail ensuite, la première journée de reprise est vraiment très dure !


À quoi ressemble le quotidien d’une cheffe ?
Je suis au restaurant à 8 heures chaque matin et le soir en général, on a encore une heure de travail après le départ des derniers clients. Ensuite il y a le travail de l’ombre : les commandes, la création des menus…
Comment créez-vous vos menus justement ?
Le midi, la carte change toutes les semaines. Le soir, le menu tourne tous les quinze jours. Et la carte des tapas change selon les saisons. À la base de chaque carte, ce sont vraiment les produits qui priment. Je pars toujours du produit car je travaille essentiellement des produits de saison : on a énormément de produits dans notre région, il faut les travailler ! Même en terme de qualité : un produit frais n’a évidemment rien à voir avec un produit congelé. Pour moi c’est une évidence de ne pas travailler des tomates en janvier par exemple.
Les produits que vous travaillez viennent donc essentiellement de la région ?
Oui essentiellement. J’essaie au maximum de travailler des produits de la région même si je fais quelques exceptions : par exemple pour l’ananas ou les fruits de la passion, je n’ai pas vraiment le choix ! Mais je demande toujours à mes fournisseurs de me proposer les produits de la saison. Pour les légumes je travaille notamment avec un petit producteur de Vendée, et même avec les grossistes je suis capable de renvoyer des carottes parce que j’ai vu qu’elles venaient d’Espagne. Je ne veux pas de carottes d’Espagne !
S’engager à ne travailler que des produits locaux restreint forcément vos possibilités ?
Oui et non car en même temps cela nous pousse à travailler le même légume plusieurs fois mais différemment, pour que les clients aient quand même de la nouveauté.
Comment faites-vous alors pour vous renouveler sans vous répéter ou sans vous lasser ?
C’est de la recherche : dans les livres, ou même sur Internet car aujourd’hui cela reste malgré tout une source d’information assez importante. En discutant avec les clients aussi, en leur demandant ce dont ils ont envie, ou même avec l’équipe : je leur demande toujours ce qu’ils aimeraient comme viande pour la semaine par exemple. Souvent, le menu du soir est imprimé à 19h car dans la journée je suis capable de changer au fur et à mesure de ce que je veux, de ce que je prépare.

À quel moment ressentez-vous que vous avez trouvé ce que vous vouliez faire ?
Même dans la semaine je suis capable de faire évoluer le même plat avec les mêmes produits, en changeant la présentation par exemple. Je fais de la chimie tous les jours !
C’est une quête d’évolution perpétuelle ou vous êtes quand même satisfaite à un moment donné de ce que vous présentez ?
Il y a toujours une évolution possible et c’est ce qui est bien dans ce métier : on ne peut pas se lasser. Il y a continuellement des nouveautés à aller chercher, de nouvelles manières de faire, des associations à tester. C’est pour ça que j’ai choisi ce métier-là. Je déteste la routine.
Il n’y a donc pas de routine dans votre métier ?
En tout cas je ne la ressens pas ! J’ai pensé ce restaurant avec un concept de carte évoluant régulièrement car je déteste la routine. J’ai travaillé dans des établissements qui changeaient leur carte uniquement à chaque saison ou tous les six mois et cela implique que l’on fasse tous les jours la même chose en cuisine. Souvent les restaurants étoilés ont tellement peur de proposer un nouveau plat qui ne soit pas à la hauteur du précédent qu’ils ne vont rien changer. Je travaillais dans un restaurant à Paris où la carte n’avait quasiment pas changée en dix ans : il y avait la carte automne, la carte hiver… Pour moi c’est inimaginable. Mais ma façon de travailler, au fur et à mesure des arrivages des produits, sans même de véritables recettes pour certains plats peut aussi faire peur à certains chefs ! D’anciens collègues ont par exemple choisi de travailler au sein de grosses structures car la routine les rassure.

Depuis quand ressentiez-vous l’envie d’ouvrir votre restaurant ?
Cela a toujours été mon objectif. J’ai décidé de me réinventer et de faire de la cuisine en me disant : pour mes 30 ans j’ouvrirai mon restaurant. Et cela s’est passé un peu avant mes 30 ans, à deux ans près, mais ça a toujours été l’objectif !
Comment expliquez-vous cette ambition si forte ?
Parce que je ne supporte pas l’autorité notamment et que j’ai besoin d’une certaine liberté. Mais quand on ne travaille pas dans son propre restaurant, on ne peut pas avoir toute sa liberté. Dans certains endroits où j’ai travaillé, c’était par exemple très difficile de proposer de nouvelles choses.
Une fois que le concept du restaurant a été mis au point, que vous restait-il à faire pour qu’il voie le jour ?
Chercher un local, trouver le financement. Mais comme cela a toujours été mon objectif j’ai économisé en fonction de ça puis j’ai également été aidé par ma famille donc les choses ont fait que c’était le bon moment pour me lancer. Le plus dur a été de trouver le local. La brasserie avant nous ne proposait pas du tout la même chose, on avait par exemple augmenté nos prix de 3 euros par rapport à ce que faisait l’ancien propriétaire et les gens ne voulaient même pas tester : ils voyaient que les prix avaient augmentés et repartaient directement ! Mais il faut laisser le temps que la clientèle se reconstruise. Avant nous, il y avait eu plusieurs restaurants différents au même endroit. Pour les financements par exemples, on me demandait si j’étais sûre que ça allait fonctionner compte tenu du fait qu’il y avait déjà eu trois-quatre affaires qui s’étaient succédées sans tenir plus de deux ans. Pourquoi la mienne allait-elle réussir ? J’ai également entendu des insinuations comme quoi étant jeune et une femme, cela n’allait pas être possible pour moi ! Particulièrement chez les agents immobiliers qui vous regardent avec dédain quand vous vous présenter pour chercher un local, avec des phrases comme « je sais ce qu’il te faut » comme s’il parlait à sa fille.
Comment réagissez-vous dans ces cas-là ?
Je ne dis rien mais je sais que je ne travaillerai pas avec eux.

Comment expliquez-vous qu’Imagine, contrairement aux autres restaurants qui l’ont précédé, fonctionne bien ?
C’est difficile de me positionner par rapport au précédent sans me vanter parce qu’on ne proposait pas du tout la même chose. Je fais ce métier-là par passion et je ne comprends pas ceux qui le font uniquement pour l’argent.
Ressentez-vous que vos clients sont sensibles à ce que vous proposez en termes de qualité de produits, d’engagement à travailler avec des producteurs locaux ?
Oui bien sûr. Je pense que de manière générale quand on est dans une certaine gamme de prix, les gens font de plus en plus attention et attendent une certaine qualité. Pourtant on ne propose pas des plats hors de prix mais je préfère en mettre moins, avoir des produits sains, de bonne qualité que de chercher de la truffe ou autres par exemple.
Quelles difficultés avez-vous dû surmonter au-delà des financiers et des agents immobiliers ?
C’est ma première affaire en tant que cheffe donc il a quand même fallu gérer le stress de l’ouverture, le fait de gérer une équipe, même si nous sommes une équipe très restreinte. L’équipe est très soudée et je le ressens : on est quatre, si on ne s’entend pas bien ce n’est pas possible de travailler. Mathieu qui est avec moi en cuisine est essentiellement sur la pâtisserie et quelques parties des entrées et moi je fais l’autre partie des entrées et les plats. Souvent je lui demande ce qu’il a envie de faire, s’il a des idées, et ensuite je le dirige, je lui donne des recettes, une nouvelle manière de faire. On travaille ensemble en fait, c’est très important.
Vous sentez-vous quand même la cheffe, dans tous les sens du terme, de cette équipe ?
Je ne supporte pas l’autorité donc je ne pense pas avoir un côté autoritaire justement. Pour moi il faut que les choses soient faites et cela ne nous empêche pas de rigoler, d’être dans une bonne ambiance. Je n’aime pas les ambiances trop strictes, je trouve qu’on se libère moins, qu’on est stressés et c’est à ce moment-là que l’on fait des bêtises. Je ne pense pas être autoritaire mais c’est difficile de se juger soi-même.

Qu’aimez-vous le plus faire au quotidien ?
Tout ! C’est un métier finalement assez large, même si le côté gestion me plaît beaucoup moins : les factures, les commandes…
Comment pensez-vous réussir à vous différencier des autres restaurants ?
Chacun a sa cuisine, sa manière d’être en salle où le service n’est pas le même partout, c’est là que l’on va se différencier. Je ne pense pas qu’il y ait de mauvaise concurrence, en tout cas moi je ne tire pas dans les pattes des autres chefs ! Au contraire, j’aime bien conseiller à des clients des restaurants que j’aime bien. Je comprends que les gens ne viennent pas chez nous tous les jours ! C’est vraiment de la bonne concurrence, de l’échange. Je prends plaisir à échanger avec d’autres chefs sur les nouveaux producteurs que l’on a par exemple. Derrière chaque restaurant il y a une personne, une équipe et cela fait que la cuisine et l’ambiance ne seront jamais identiques d’un restaurant à un autre. Il y a du monde à Nantes, il y a beaucoup de restaurants mais il y a une clientèle pour tous.
Vous êtes quand même très peu de femmes en cuisine à Nantes précisément.
On est moins de dix cheffes je crois !
À quoi est-ce dû selon vous ?
Je pense que c’est un métier qui peut quand même dégouter les femmes. J’ai eu des expériences avec des gens du milieu qui vous font clairement comprendre qu’en tant que femme, vous n’avez rien à faire dans ce métier. Lors de mon deuxième stage, au bout de deux jours mon supérieur ma prise par les épaules, m’a plaquée contre un mur et m’a dit « tu es là parce que tu es de la main d’œuvre pas chère et en plus tu es une femme ». Je n’ai pas compris le rapport ! Je ne comprenais vraiment pas ce que cela voulait dire, d’autant plus que ma première cheffe était une femme, que traditionnellement à la maison ce sont plutôt les femmes qui font à manger donc pourquoi dans le métier il y a beaucoup plus de chefs hommes ? Effectivement c’est un métier très physique, mais parce qu’on en fait un métier très physique ! Je ne prends pas des gamelles de 50 litres car de toute façon je n’arrive pas à les porter. Je demande de l’aide, pour moi il n’y a pas de problème.

Est-ce que le fait d’être une femme en cuisine vous a obligé malgré vous à travailler plus qu’un homme pour arriver au même niveau ?
Je ne sais pas, c’est dur de juger par rapport à ça. Après c’est vrai que par exemple à L’Apicius, 2 étoiles Michelin, on était 3 femmes pour 30 hommes… Alors qu’à l’école on était à 50/50 ! Mais parce qu’après l’école de cuisine il y a encore beaucoup de femmes qui partent en pâtisserie, parce que l’ambiance y est plus posée justement ou parce que certaines ont été dégoutées du milieu.
Vous qui êtes au sein de ce milieu, vous n’arrivez pas encore à comprendre pourquoi les femmes n’y ont pas la même place que les hommes ?
Non j’avoue que je ne comprends toujours pas. Les stéréotypes ont la vie dure. L’autre jour un client a pris un tataki de bœuf et m’a dit vulgairement « pour cuisiner un plat pareil, il faut avoir des couilles ! » Ce sont des réflexions qui n’ont aucun rapport avec la cuisine ! Ou j’entends encore des phrases comme : « on voit que c’est une femme qui cuisine ! »
Est-ce que les mentalités sont en train de changer ?
C’est sûr que plus les chefs sont âgés, plus ils ont du mal avec les femmes en cuisine mais même dans la jeune génération, il y a encore beaucoup de machos en cuisine, je l’ai senti. Quelqu’un qui avait deux ans de plus que moi me parlait uniquement pour me dire : « nettoie ».
Ce sont des réflexions qui doivent beaucoup blesser ?
Oui ça blesse mais on se construit une sorte de carapace. On m’a par exemple dit que j’étais bretonne avec le caractère qui va avec ! Je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire… À moment donné on se construit une carapace sinon on n’avance pas. Mais c’est vrai que cela peut être dur. Heureusement il y a aussi des chefs qui sont adorables et passionnés, qui vous traite bien que vous soyez une femme ou un homme.
Selon vous, il n’y a donc pas de cuisine « masculine » ou « féminine » ?
Non vraiment pas selon moi.
Mais il y a quand même une part de votre personnalité qui s’exprime dans votre cuisine ?
Oui certainement mais inconsciemment. Une cliente m’a dit un jour qu’en général mes dressages étaient des « chaos organisés » et c’est à peu près la manière dont ma mère a décrit ma chambre pendant 15 ans ! Donc finalement oui, mon caractère doit certainement se retrouver dans ma cuisine ! Mon côté matheux mais un peu fou.

Pensez-vous avoir un style ? Est-ce que d’une manière générale on peut parler de style en cuisine ?
Non je pense qu’un style évolue, et aujourd’hui je dis que je suis encore un « bébé » dans le métier. Donc ma cuisine va encore évoluer, se structurer. Je vois notamment l’évolution de ce que je fais aujourd’hui au niveau des dressages, des associations par rapport à ce que je faisais il y a un an et demi ! Je le vois visuellement ou au niveau des saveurs parce que par exemple j’ose un peu plus les mélanges. Mais il faut dire aussi que la clientèle qui venait dans les restaurants qui ont précédés Imagine avait l’habitude d’une cuisine assez classique. Donc les clients ont eu du mal au départ quand je proposais des choses un peu différentes, comme un dessert à l’avocat par exemple : il a fallu le vendre, leur proposer de goûter malgré leurs appréhensions !
Et aujourd’hui notre clientèle vient aussi pour cette différence que je propose. Aujourd’hui je me lâche, j’ai toujours eu beaucoup plus de liberté et d’opportunités de m’exprimer en pâtisserie donc je propose des choses différentes, tandis qu’en cuisine j’ai toujours eu des chefs derrière moi qui me disaient quoi faire. En cuisine à mes débuts, j’ai fait ce que j’ai appris et petit à petit je commence à y mettre ma patte, ma signature.
Quelle est la chose la plus importante pour vous : la satisfaction du client ou la vôtre lorsque vous cuisinez ?
Les deux ! Si je fais quelque chose qui me plaît mais ne plaît pas au client, cela ne sert à rien. C’est un métier de partage donc il ne faut pas être égoïste, cela n’a pas d’intérêt. Etre cheffe pour moi c’est se faire plaisir mais en donnant du plaisir aux autres. Et pour moi la meilleure satisfaction c’est quand le client est content.
Qu’est-ce que les clients aiment dans ce que vous faites ?
C’est difficile de répondre à ça, je pense que je ne parle pas assez avec les clients pour savoir ce qu’ils aiment précisément. Je pense qu’ils aiment le fait que le menu change toutes les semaines. Certains me demandent pourquoi je ne change pas tous les jours mais si je fais cela, la qualité ne sera pas la même, ni la régularité car en changeant trop souvent on n’a pas le temps de réfléchir aux plats, on va faire un peu trop vite. Surtout que nous ne sommes que deux en cuisine donc si tous les jours il fallait tout refaire, cela nous demanderait beaucoup trop de travail.
Quelles sont vos ambitions pour Imagine pour les années à venir ?
J’aimerais peut-être prendre un apprenti en cuisine mais on ne pourra jamais être plus de trois car la cuisine est trop petite. Étant passée par l’apprentissage, j’envisage ce métier comme un métier de partage. J’ai envie de former quelqu’un, pour moi c’est vraiment très important. L’objectif aussi c’est de construire ma clientèle. En revanche, je ne suis pas dans la course aux étoiles Michelin par exemple. Je préfère être bien dans ce que je fais.
Quel bilan tirez-vous de votre activité après deux ans d’ouverture ?
On se plaint la première année du manque de clientèle, de régularité mais c’est normal. Quand on fait des services à deux couverts c’est très dur, on se remet énormément en question. L’été dernier a été hyper difficile pour nous, il n’y avait personne de juillet à août. Sauf que la première année, il y a des emprunts à régler donc on ne peut pas se permettre de fermer pour l’été. Donc on explique aux banques, on espère qu’à la rentrée ça reparte comme avant et heureusement c’est ce qui s’est passé !
Êtes-vous fière d’avoir réussi à ouvrir votre restaurant à moins de trente ans ?
Je ne ressens pas de fierté dans le fait d’être une femme qui ait réussi à ouvrir son restaurant parce que pour moi comme je le disais ça ne change rien d’être une femme. Mais je suis contente d’avoir réussi à faire ce que je voulais faire et que le restaurant fonctionne.

Quel est le prochain défi à relever ?
Que ça dure ! Il faut se méfier de ne pas avoir une clientèle qui vienne uniquement parce qu’on est un nouveau lieu. Et au départ ici j’y passais toutes mes journées mais petit à petit il faut que j’arrive à lever le pied.
Vous arrivez à faire autre chose que de la cuisine quand vous ne travaillez pas ?
C’est dur ! D’autant plus que même quand je suis de repos malgré tout il faut que je cuisine chez moi. Quand je pars en vacances, je teste les plats locaux. Quand je vais chez mes parents, ma mère qui a pourtant toujours cuisiné me demande comment faire un bœuf bourguignon !
Vous donnez des complexes à votre entourage sans le vouloir !
Oui c’est vrai. Quand je suis avec ma mère, j’ai l’impression qu’elle ne sait plus cuisiner ! On d’autres personnes me disent aussi qu’ils ne vont pas m’inviter chez eux parce que cela leur met la pression de me recevoir !

Vous retrouverez une recette exclusive signée Anne-Lise Genouël au sein du premier numéro d’ÉTONNANTES, le magazine papier.
Imagine, 12 rue Gresset, 44000 Nantes
02 40 34 06 11
https://www.facebook.com/ImagineRestaurant/
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