Nathalie Richard : “Ce qui compte, c’est d’oser se mettre debout.”

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En mai 2020, nous faisions la rencontre de Nathalie Richard pour une interview publiée dans Étonnantes n°2 : aux côtés de sa complice Clémentine Lemaire, avec qui elle a co-fondé le Club Culotté, elle nous parlait alors de son métier de coach, de son enfance finistérienne et de pouvoir « du dedans ». Avec clarté, force et passion.
Aujourd’hui, deux ans après ce premier entretien et alors qu’elle a quitté Nantes pour fonder un « écolieu » dans le Finistère Nord, nous avons eu envie de questionner à nouveau Nathalie. Pour qu’elle nous raconte son retour en terre bretonne, son quotidien de « gardienne d’écolieu », son écoféminisme éclairant. Entretien.

Cet entretien est au sommaire de la Newsletter#2 d’Étonnantes. Pour vous abonner à la newsletter mensuelle d’Étonnantes c’est ici.

©DR

En mai 2020, tu répondais à mes questions pour le N°2 d’Étonnantes : tu étais alors installée à Nantes où tu exerçais en tant que coach et co-fondatrice de Club Culotté avec Clémentine Lemaire. Tu es aujourd’hui installée à Lampaul-Ploudalmézeau où tu as créé un écolieu, Moulin du Roz, avec ton compagnon Antoine. Pourquoi ce changement de vie ? 
Je crois que c’est un mouvement de rappel de mes racines et de la mer. Ce n’est pas quelque chose que ma tête avait prévu, plutôt un chant irrésistible comme cadeau l’année de mes 40 ans. Le Covid a été le dernier coup de pied au c** comme une question toujours plus insistante : “Mais que veux-tu vraiment ?”
Ce retour au pays trouve sa source en 2015 sur la côte Californienne où je fais l’expérience, au confluent de trois sources d’eau, d’un flash, une intuition, une évidence : un jour je créerai un écolieu. Deux ans plus tard, après avoir tenté la révolution dans une finance qui ne le voulait pas, j’amorce le retour au pays en tombant amoureuse d’un breton – évidemment – qui me prend par la main pour redécouvrir cette Bretagne que j’avais tant rejetée. J’avais changé, mon regard a changé et d’elle aussi je suis tombée amoureuse.
Rien de tout cela n’était prévu. Tout ce que j’avais planifié est tombé à l’eau, c’est la vie qui m’a proposé autre chose, ma liberté a été de dire oui ! Je vois mon chemin un peu comme le voyage du héros de Joseph Campbell où, après avoir vogué loin de sa communauté d’origine, le héros ou l’héroïne rapporte ce qu’il.elle est devenu.e à son village pour y créer quelque chose.
Where we are is who we are.” Trouver sa terre c’est se trouver soi. C’est une magnifique citation d’Anabel Abs.

Trouver sa terre c’est se trouver soi.

Qu’est-ce qu’un écolieu ? Que proposez-vous au Moulin du Roz ? 
Il y a plusieurs façons de définir un écolieu. Ma façon c’est de dire qu’avant tout, c’est un tiers-lieu donc : un lieu ouvert au public, accessible à la communauté qu’il saura créer. Les possibilités sont vastes mais ce qui les relie selon moi c’est que quel que soit leur objet, ces lieux cultivent et nourrissent les liens entre humains. Je les vois comme des points d’acupuncture dans un monde malade.
C’est vital aujourd’hui ! Ces liens ont été mis à mal ces dernières années avec le Covid mais aussi et surtout, par le travail de sape des distractions de nos écrans qui créent de l’enfermement et fait oublier le lien à autrui et au vivant. Le terme « éco » fait référence à l’écologie, ce qui signifie qu’un écolieu est un tiers-lieu dont le cœur du projet est l’écologie. Pour autant, je pense que l’écologie ne devrait pas être un sujet à part, mis de côté du reste de nos vies et dont on ne se soucie que si l’on en trouve le temps. J’ai bien conscience que cela ne va pas de soi pour beaucoup, pourtant l’écologie concerne nos conditions d’existence, c’est littéralement la gestion de la maison ! Sans ces conditions, rien d’autre n’est possible et pourtant peu de personnes s’en rendent compte aujourd’hui.
Je rêve du jour où ce sera aussi absurde de parler d’écolieu, de parti politique écologique comme c’est absurde aujourd’hui de parler de « ville internet ».
Ceci dit, on a choisi avec Antoine d’utiliser ce terme car nommer c’est permettre à quelque chose d’émerger avant de devenir ‘normal’. Il faut donc oser nommer ce que nous voulons voir advenir. Nommer c’est créer et donc c’est politique. Ensuite c’est digéré et il n’y a plus besoin d’en parler.

Moulin du Roz, l’écolieu fondé par Nathalie et Antoine à Lampaul-Ploudalmezeau (29)


Que recherchent les personnes qui viennent séjourner au Moulin du Roz ? Comment les accompagnez-vous, Antoine et toi ?
J’adore cette question, je me la pose tous les jours ! Nous la posons aussi lors de chaque visite. On observe une soif immense de débrancher d’un système mortifère, de renouer avec l’essentiel de notre humanité, pour vivre en harmonie avec soi et avec le vivant autour de soi.
Ces humains cherchent de nouvelles façons de vivre et d’être au monde. Les intuitions que nous avons avec Antoine se vérifient : l’un de va pas sans l’autre, écologie extérieure et intérieure sont intimement liées. Ce qui est en haut est en bas, ce qui est dehors est dedans.
Par exemple, des personnes qui cherchent un travail avec plus de sens, ou veulent rénover leur habitat de manière plus écologique vont aussi à un moment donné chercher à mieux s’alimenter, peut-être à se soigner autrement, à passer plus de temps dans la nature et finalement prendre soin de leur vie intérieure.
Quand on s’ouvre à la voie de la reconnexion au vivant – et ce, quelle que soit la porte d’entrée – on finit par tirer la ficelle d’une pelote de laine qui compose tous les pans de notre vie. Et c’est ce qui est passionnant, politiquement discret mais très puissant.   

La première chose que le moulin offre à ses visiteurs c’est du soin. J’aime dire que c’est de l’amour maquillé avec un peu de pudeur. Le moulin est une auberge. On y est nourri.e de bon et de beau. On y est aussi vu.e, entendu.e, reconnu.e pour ce que l’on est vraiment. On peut en toute sécurité s’y mettre à nu, au sens figuré et pourquoi pas au sens propre aussi !

La deuxième chose que le moulin offre est l’expérience d’un nouvel espace-temps. Ici le temps semble différent, on rompt avec le temps linéaire imposé par la modernité, on ralentit et on expérimente la cyclicité propre au vivant qui transforme les manières d’être et de penser.

En résumé, il se trouve que les personnes qui viennent ici sont très souvent des femmes (à 90%) qui aspirent à se ressourcer, prendre du recul sur leurs activités, remettre les mains dans la terre, le nez dans l’éco-construction, manger divinement bien et dormir comme un bébé, renouer avec le sacré, se désaliéner, s’enivrer d’embruns, rire, bavarder, partager, se balader nus pieds et créer ce monde où il n’est plus question de dominer mais de ré-enchanter.

Le Moulin du Roz est une auberge.
On y est nourri.e de bon et de beau.

Tu es l’une des premières Étonnantes à m’avoir parlé d’écoféminisme lors de notre première rencontre il y a plus de deux ans. L’écoféminisme reste encore très mal compris et connu, bien qu’il commence à être (un peu) évoqué dans les médias traditionnels. La journaliste Elise Thiébaut, autrice notamment d’un ouvrage sur Françoise d’Eaubonne l’une des pionnières de l’écoféminisme, déclarait en mars dernier lors du Printemps des Fameuses à Nantes : « L’écoféminisme, tout le monde en parle et personne ne sait ce que c’est » !
Et toi, comment définis-tu l’écoféminisme ? Comment ce féminisme répond-t-il à tes attentes, tes engagements ?

L’écoféminisme m’a tout de suite touchée en plein cœur car il est radical, c’est un changement de cosmologie. Ce n’est pas un simple réaménagement des règles du jeu : l’écoféminisme change le jeu ! La modernité nous a fait croire que nous étions séparés, notre société agit donc de manière cohérente avec cela et valorise compétition, domination, binarité, simplification, utilisation, extraction…etc C’est faux, nous ne sommes pas séparés ! La biodiversité nous le montre : nous faisons toutes et tous partie d’écosystèmes qui font eux-mêmes partie d’autres écosystèmes, tout est systémique.

Comme le dit Starhawk [écrivaine et militante écoféministe américaine], il s’agit de faire émerger une nouvelle attention au monde, une interconnexion avec l’ensemble du vivant. Ce n’est pas simple, cela demande de revoir toute notre programmation interne mais c’est passionnant ! 
Je n’avais jamais rencontré un souffle capable de relier si profondément spiritualité, sagesse et engagement concret dans la cité. C’est le cas de l’écoféminisme. Quand je l’ai découvert cela a été une immense joie et un immense soulagement en même temps : enfin je mettais des mots sur ce qui était au fond si évident mais intraduisible – et donc invisible – en même temps.

Pourquoi une définition claire de l’écoféminisme n’a-t-elle pas encore été proposée ? Ne pas pouvoir en déterminer les contours nets ne rend-il pas l’écoféminisme trop obscur pour qui veut s’y intéresser ?
Pour moi il y a une définition claire. La pluralité de sa déclinaison ne doit pas nous en faire douter. C’est intéressant d’observer l’entretien (conscient ou inconscient) de cette obscurité. Ne confondons pas complexité et obscurité ! L’écoféminsme traite radicalement, c’est-à-dire à la racine, notre manière d’être au monde en s’attaquant à tous les rapports de domination (donc à la civilisation patriarcale) et en proposant de restaurer nos liens d’interconnexion avec l’ensemble du vivant. C’est ma définition mais je crois que nous sommes nombreux.ses à la porter.
Je cite « Rêver l’obscur » de Starhawk [paru aux Éditions Cambourakis, 2015] : l’histoire de la civilisation patriarcale pourrait être lue comme un effort cumulatif pour briser ces liens (entre un individu, sa communauté, la terre et ses ressources), pour séparer l’esprit et la chair, la nature et la culture, l’homme et la femme.
C’est notre responsabilité, la mienne et celles de toutes les personnes (femmes et hommes) qui aspirent à voir advenir ce que porte l’écoféminisme, de répéter encore et encore une définition claire, concise et accessible tout en étant libre de la décliner là où son cœur, sa fougue et son talent vont l’embarquer. Sa déclinaison et les divers véhicules par lesquels l’écoféminimse s’exprime ne doivent pas nous faire perdre de vue sa colonne vertébrale.

Ne confondons pas le quoi, le comment et le pourquoi c’est-à-dire cette manière d’être au monde.
Je suis tout autant écoféministe,
quand je me bats pour donner des droits juridiques aux rivières et aux montagnes,
quand je défends l’égalité femmes/hommes,
quand je pratique le maraîchage sur sol vivant,
quand j’enseigne aux enfants dans la forêt plutôt que parqués entre quatre murs toute la journée,
quand je me réapproprie les plantes médicinales dans mon jardin ou le breton à l’école Diwan.

Tout cela parle de vivre de manière interconnectée, de re-créer de l’harmonie dans l’unité tout en célébrant sa diversité. Nous ne sommes plus dans le monde du « ou » mais du « et ».
Mais je crois qu’il n’y a rien à forcer. J’en suis un bon exemple ! Quelqu’un m’avait dit qu’il fallait absolument que je lise « Rêver l’obscur », que ce livre était fait pour moi… Cette personne avait senti de quel bois j’étais faite, sans doute avant moi d’ailleurs ! Je me le suis procuré et j’ai été incapable de le lire sur le moment. Un an plus tard, je l’ai repris dans ma bibliothèque sans trop savoir pourquoi, et devine quoi : je l’ai dévoré !
Rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu, c’est valable à titre individuel aussi…Et si l’on ne parvient pas à convaincre c’est que l’on n’incarne pas assez !
Finalement il s’agit davantage de vivre et d’expérimenter l’écoféminisme dans toute sa diversité que de vouloir absolument l’encapsuler pour pouvoir en parler. 

Je suis tout autant écoféministe,
quand je me bats pour donner des droits juridiques aux rivières et aux montagnes,
quand je défends l’égalité femmes/hommes,
quand je pratique le maraîchage sur sol vivant (…)

Comment appliques-tu tes engagements féministes au quotidien ?
Je ne me suis jamais reconnue dans le féminisme disons « classique » pour deux raisons :
La première c’est qu’il a été – notamment en France –  très méfiant (un euphémisme peut-être) du lien entre femme et ‘nature’. Pour moi on a jeté le bébé avec l’eau du bain. Il ne s’agit pas de ramener les femmes à un essentialisme mais de ramener du féminin, ou plus précisément du « yin » dans notre manière d’être au monde.
La deuxième, c’est que l’égalité femmes / hommes est sans doute incontestable mais s’il s’agit de permettre aux femmes les mêmes libertés mortifères vis-à-vis du reste du vivant alors on augmente et perpétue notre bêtise. Il faut être plus exigeant encore, il faut questionner en profondeur ce que l’acquisition de liberté permet. Si notre puissance n’est pas vécue de manière interconnectée alors elle peut faire des ravages sans même le savoir, par ignorance.

Gagner en émancipation doit aller de pair avec reconnexion.
Notre société souffre d’un déséquilibre gigantesque entre la qualité « yang » : l’action, la performance, la démonstration, le mouvement, l’extériorité et la qualité « yin » : le repos, l’accueil, le soin, le non-agir, l’intériorité. On marche sur une jambe, c’est donc logiquement voué à l’effondrement.
J’œuvre donc à apporter plus d’équilibre entre masculin et féminin, pas au sens de la femme mais de cette qualité accessible à tout être vivant donc aux hommes comme aux femmes. Dans ce sens alors oui, je suis féministe !

La question était comment je le fais au quotidien ? En vrac voilà ce qui me vient :
Je veille à mettre davantage dans mon quotidien des temps de repos et de rien.
Je prête attention à mon langage, je choisis mes mots car je sais que nommer c’est cultiver ou créer.
J’utilise le mot nature le moins souvent possible par exemple. Quand je parviens à voir un auto-censeur m’empêcher de porter ma voix, je le nomme à haute voix pour le démasquer, c’est aussi ça rêver l’obscur !
En tant que belle-maman, je vois à quel point la façon dont j’ai été moi-même éduquée m’a conditionnée donc je détricote mes réflexes quand je parviens à les attraper.
Je pratique le coaching donc j’accompagne les autres aussi à se désaliéner, à questionner ce qui ne l’est pas car pris pour acquis, on le met en lumière pour gagner en liberté.
Je suis praticienne en écorituels, cela signifie que j’accompagne les humains dans des passages de leur vie tout en les reliant et en co-créant avec le vivant.
Je crée un podcast dont le thème cette saison est « les sorcières » pour porter des voix singulières et proposer un nouveau récit emprunt de vie.
Je marche pieds nus dehors le plus souvent possible.
Je m’interroge sur pourquoi je tiens ma petite terre-neuve en laisse.
Je parle avec des gens de mon territoire très différents : des paysans, des chasseurs, des élus, des gens que je ne côtoyais pas avant. Dans mon village de 850 habitants, l’entre-soi ne va plus de soi.
Je m’occupe de mon jardin, de tous ses habitants et j’y passe du temps.
Je crée des liens qui n’existaient pas pour moi avant, je me réenchasse dans le vivant, ce qui n’étaient que des mots deviennent des relations. Je me suis mise à pratiquer ce dont j’aimais tant parler, je me suis mise à les aimer. Et cela tombe bien car je crois que l’on ne prend bien soin que de ce que l’on aime vraiment.

Je pense que l’on ne naît pas féministe mais qu’on le devient, grâce à des rencontres, des lectures, des échanges… Qu’en penses-tu ? Et toi, comment es-tu devenue féministe ?
Oui je te rejoins, je crois que l’on devient soi. Enfin sans doute serait-il plus juste de dire que l’on redevient soi. Enfant, la question ne se posait pas : « on était », tout simplement.
J’associe l’écoféminisme et le féminisme à l’émancipation de l’être humain, pour ma part je le dois à un rappel de la vie, comme si mon âme avait dit : ça suffit. J’étais partie très loin dans le “faire ce que l’on attend de moi”.
J’avais mentionné dans l’interview pour Étonnantes n°2 en 2020 ma vie à New York, mon activité à Wall Street, cette voie patriarcale toute tracée que je suivais et le burn-out où cela m’a menée. À faire le grand écart entre ce que j’étais au fond et ce que je faisais, l’élastique a lâché.
Mais durant toutes ces années, je savais que je n’étais pas en place, non pas tant que je n’étais pas à ma place mais je jouais petit bras là où j’étais, comme au tennis quand j’avais peur de gagner. Mon burn-out m’a menée à une immersion dans l’eau sur la plage de mon enfance et je ne sais pas par quel miracle mais les mois d’après, mon cœur s’est progressivement remis en expansion, j’ai retrouvé ma flamme, le courage de porter haut et fort mes convictions.

À faire le grand écart entre
ce que j’étais au fond et ce que je faisais,
l’élastique a lâché.

Cela s’est mis a infusé dans tout ce que je faisais. La dissonance est devenue intolérable comme si je voyais enfin clair sur ce qui me semblait absurde dans ce monde et que je ne pouvais plus rester inactive face à cela !
Avant cela, les injustices faisaient partie de ces savoirs auxquels j’acquiesçais mais que je n’éprouvais pas. Soudainement certaines me prenaient aux tripes et il est devenu impossible de ne plus les adresser, non pas en les combattant frontalement – même si je l’ai fait dans un premier temps  –  mais en créant des alternatives.
Cette question des bascules des individus me fascine depuis. Dans toutes les histoires que j’entends, il y a cette ouverture du cœur et de l’esprit qui arrive après la mort d’une vieille peau de soi. C’est sans doute cela une initiation.

Ressens-tu une forme d’écoanxiété ? Si oui, comment fais-tu pour y remédier ?
Oh que OUI ! Et pour rien au monde je souhaiterais que ce soit autrement. Je n’ai jamais été très forte avec le déni, cela me cause parfois bien des ennuis. Bien sûr c’est inconfortable et je n’ai jamais aussi souvent ressenti d’impuissance et de désespoir qu’en ce moment. Pour autant, je ne souhaite pas y remédier !
J’entends bien le sens de ta question mais je souhaite saisir l’opportunité pour questionner ce mot remède et ce qui le sous-tend.
Éviter, résoudre ou remédier à l’écoanxiété est sous-tendu par l’idée que c’est négatif d’être anxieux.se. Or c’est simplement une émotion, elle n’a pas à être négative ou positive, elle pourrait être simplement une information que quelque chose me touche. Alors pourquoi faudrait-il y remédier ? Nous sommes dans l’inconfort avec ces émotions et je crois que c’est un problème car notre civilisation déploie quantité de stratégies pour en sortir à tout prix et au plus vite : on a au choix l’anesthésie, la fuite, le déni, la distraction ou encore la frénésie de l’action.
Tout cela ne permet pas de prendre le temps de goûter profondément à ce que me dit cette émotion et encore moins de prendre le temps de la réflexion.
J’entends souvent que le meilleur remède à l’écoanxiété c’est l’action, peut-être, ou pas, et si c’était la non-action ? Et si c’était tout simplement la mise sur haut-parleur et le partage de cette dernière avec l’autre ? Et si cette anxiété pouvait se composter ?

Ce que je fais de mon écoanxiété, c’est déjà tout simplement d’en parler, de la partager pour ne plus être seule avec, pour la déposer.
Sur ce très beau sujet, nous avons d’ailleurs créé une expérience avec une amie Caroline : quatre jours appelés « Nous sommes la Terre » basés sur le travail de Joanna Macy [militante écologiste, autrice, spécialiste du bouddhisme, de l’écologie profonde et de l’écopsychologie] Ce processus pratiqué dans le monde entier est très puissant car il nous permet de renouer avec notre peur de la mort, ce tabou de notre société, c’est bien ça que cache l’écoanxiété.
Et parce que l’action a du bon, évidemment, j’organise des ciné-débats localement pour partager la parole après le visionnage de documentaires. Je crois que c’est en regardant la situation et nos émotions en face, en tissant des liens et en libérant la parole que la joie de faire les choses avec dignité reviendra, qu’importe le résultat. Ce qui compte selon moi, c’est d’oser se mettre debout.

Au Moulin du Roz, vous proposez notamment des séjours en silence appelés « Ferme ta gueule pour voir ». Pourquoi le silence nous fait-il si peur ? Que nous apprend-il sur nous, quand il est choisi ?
Le silence fait peur de la même manière que l’écoanxiété car il est inconfortable. Le vide est inconfortable. Il faut vite le remplir. Le brouhaha, le plein, la course permanente évitent de se poser les questions difficiles comme peuvent le faire une bonne série, une tablette de chocolat ou un petit muscadet qui viendraient calmer une angoisse que l’on ne veut pas regarder. Et il n’y aucun mal à ça, la question est : « Est-ce que je veux vraiment ça ? ».
Participer à « Ferme ta gueule pour voir » c’est faire le choix – et tu fais bien de le souligner, la décision change tout – de venir voir en toute sécurité ce que le silence provoque chez soi.
Les personnes qui sont passées par là nous ont toutes fait part de la puissance du silence pour accéder à ce qui était caché chez elles, enfoui sous le trop. Et même si pour certain.e.s, le silence a pu être inconfortable, c’est comme s’ill aboutissait pour tou.te.s à un renaissance et à une réconciliation, à un outil qui permet d’accéder à volonté à leur sérénité, à cet espace au fond d’elle « qui sait ».
Le silence est la condition d’un penser et d’un agir plus connecté. Comme dit Cynthia Fleury [philosophe et psychanalyste française] : « Nous sommes des hommes dont l’humanisme est fragile ». Je crois que le silence est une voie de réconciliation à la sagesse de notre humanité.


Dans ton interview à lire dans Étonnantes n°2, tu disais : « Ce que dit l’écoféminisme c’est que nous nous sommes coupé.e.s de la nature, de l’autre, donc nous nous sommes coupé.e.s de nous-mêmes. Nous avons séparé nature et culture et notre civilisation s’est construite sur cette séparation qui est à l’opposé du principe d’interdépendance. »
En France, 93 % de la population française vit dans l’aire d’attraction d’une ville (source : INSEE). Penses-tu que le discours écoféministe puisse être compris et « embrassé » par des personnes sans lien direct et quotidien avec la nature ?
 

Avant de répondre à ta question, je tente d’être attentive à ce qu’elle suppose, je vais faire une hypothèse, peut-être fausse mais tant pis tu me pardonneras, on aura au moins soulevé ce point. Si la question pré-suppose qu’il faille convaincre ces 93% alors non. On ne convainc personne et même si j’ai eu ma période à me battre pour convaincre l’autre de mes propres convictions et que j’ai cette terrible tentation encore trop souvent, je sais que je ne peux et ne souhaite plus convaincre. Cela ne signifie pas que je ne suis pas engagée. Je me suis trop souvent pris les pieds dans le tapis d’avoir tort en voulant avoir raison. Cela me fait penser à cette citation : « Soit j’aime, soit je veux avoir raison ».

Ce que je souhaite en revanche aujourd’hui, c’est inspirer. Car si l’Autre est inspiré c’est qu’il y avait déjà un élan vers l’objet de son inspiration en lui.elle et qu’il.elle l’a simplement reconnu par ce que j’incarnais. La posture est donc très différente, je n’empiète pas sur la liberté de l’autre à être ce qu’il ou elle souhaite être.
Ceci dit, oh oui je crois tout à fait que l’écoféminisme peut toucher en environnement urbain ! J’en suis un exemple car j’habitais à New York quand j’ai été touchée par l’écoféminisme la première fois et je l’ai embrassé en côtoyant d’autres écoféministes là-bas. Je dirais même que ma découverte de l’écoféminisme m’a d’abord été facilitée par ma vie là-bas car j’avais accès à une diversité de courants de pensée et de manières de vivre, c’est là-bas que j’ai commencé à me déconditionner.

Ensuite, il y a eu une deuxième étape, pour « corps prendre » et non comprendre : je me suis sentie appelée par les grands espaces. Je me souviens ressentir un grand besoin de silence, d’espace, de forêts, de mer, de montagnes, de sentir, d’humer, d’embrasser les éléments. Alors là, oui dans un second temps, pour faire l’expérience par mes cellules et plus seulement par mon cerveau, j’ai eu un besoin vital d’être à plein temps au plus près du sauvage et de quitter le tout artificialisé.
On ne parle bien que de ce que l’on vit. Ce que me montre mon parcours, c’est bien qu’il y a eu l’appel, l’inspiration, le comprendre et puis le “corps prendre” pour embrasser, comme tu le dis si justement. Cela ne veut pas dire que j’en fais une généralité.

Tu as grandi dans le Finistère puis tu en es partie : tu as vécu et travaillé à Paris, New York, Nantes, pour finalement revenir dans la région où tu as grandi. Comment analyses-tu cette trajectoire ? Ce retour aux sources est-il une re-naissance ? 
C’est bien un retour aux sources en effet, au sens propre comme au figuré ! Je vis dans un moulin à un kilomètre de la mer, ce qui signifie que nous avons accès à au moins deux sources d’eau. L’eau est d’ailleurs mon élément préféré !
Mais ce retour, je le vois comme la résultante d’une re-naissance qui a eu lieu avant, je le mentionnais plus haut, au moment de mon burn-out fin 2014, j’ai senti que quelque chose de fort s’ouvrait au fond de moi et m’autorisait à vivre plus fort, plus grand, à m’expanser. Ce n’est pas français mais l’idée est là. 
Aujourd’hui, je viens d’avoir 42 ans, je sens poindre une nouvelle renaissance mais je ne peux encore en parler. Je sais simplement que cela à trait aux sorcières et à l’écoféminisme dont je souhaite porter les couleurs plus haut dans mon pays de naissance, ici au bout du monde, le Penn Ar Bed.
Cette interview tombe bien. A croire que les septaines ont leur magie que seul le temps pourra dévoiler…


Propos recueillis par Solenn Cosotti

– Pour (re)lire l’interview de Nathalie Richard et Clémentine Lemaire, confondatrices de Club Culotté : rendez-vous dans Étonnantes n°2 !

Pour découvrir Le Moulin du Roz, c’est ici
(en attendant leur site internet tout nouveau tout beau très prochainement)

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