« Je rêve d’un monde où l’on ne me demandera plus : ‘Pourquoi dessinez-vous des femmes grosses ?’ »
« De tout temps, l’accès des femmes à la peinture s’est révélé particulièrement difficile, et plus largement l’accès à la création des images, à cet imaginaire qui, en définitive, est une dimension du pouvoir et de fabrication du monde. » écrit l’historienne Michelle Perrot dans son ouvrage « Le temps des féminismes » (Grasset, 2023).
Le dessin comme pouvoir, voilà qui s’applique parfaitement au travail de Marie Boiseau. Le pouvoir de dessiner un monde pluriel, de peindre des corps sous-représentés, de donner à voir des femmes qui « lui ressemblent » comme elle le dit dans l’interview à lire ci-dessous. Par ses images hautes en couleur, l’artiste guérandaise aujourd’hui installée à Nantes, compose un univers inclusif et « joyeux » sans pour autant « enjoliver la réalité ». Autrice de la couverture d’Étonnantes N°5, sur le thème de la transmission, elle signe un dessin éclatant de bienveillance, de tendresse et d’amour. Tout ce dont nous avons besoin, aujourd’hui plus que jamais.
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Tu dis avoir commencé par dessiner des poupées : « quand j’étais jeune, je dessinais des femmes qui étaient ‘belles’ selon les critères de la société », disais-tu dans une précédente interview pour le magazine Cheek. Quand as-tu cessé de dessiner des femmes « idéalisées » pour représenter une diversité de physiques féminins ?
Lorsque j’ai découvert la notion de féminisme et ce que cela engendrait au quotidien, mais aussi lorsque j’ai découvert le mouvement body-positive et fat-positive. Le mouvement body-positive s’est un peu dégradé par la suite, notamment car il a beaucoup été récupéré par des marques et donc vidé de son sens, mais à l’époque cela a été une révélation pour moi. Je me suis intéressée à la question de la représentation, et petit à petit les femmes dans mon dessin se sont mises à plus me ressembler et à ressembler aux femmes que je côtoyais.
Avec quelles figures artistiques as-tu grandi ?
J’ai grandi dans une famille avec peu de culture artistique, je n’ai pas du tout baigné dans l’art quand j’étais enfant. Je suis allée pour la première fois dans un musée vers mes 17 ans. Donc j’ai grandi avec des références plus populaires, notamment le magazine Witch [magazine aujourd’hui arrêté, comprenant des tests, des BD, des jeux et destiné aux jeunes filles], grande inspiration pour moi à l’époque !
Quel(s) obstacle(s) as-tu réussi à surmonter pour faire ta place en tant qu’illustratrice reconnue ?
L’obstacle le plus difficile pour moi a surtout été financier. J’ai arrêté mes études aux Beaux-arts en cours de route, où j’étais boursière. Mes parents ne pouvaient pas m’aider financièrement, heureusement j’ai pu toucher le RSA et des aides qui m’ont permis de pouvoir payer mes loyers pendant quelques années. Et à côté, j’ai pu développer mes illustrations, mon site Internet, et tenter de me faire connaître. Instagram m’a énormément aidée pour cela, et j’ai eu beaucoup de chance.
Tes dessins sont-ils une forme de militantisme ?
Oui et non. Si l’on considère la société dans laquelle on évolue, oui, j’imagine que représenter des femmes grosses, poilues, etc., est une forme de militantisme. Mais je rêve d’un monde où cela sera enfin devenu normal, où l’on ne me demandera plus : “Pourquoi dessinez-vous des femmes grosses ?”.
Tu collabores régulièrement avec des titres de presse, tu as signé plusieurs ouvrages, tu es très présente sur les réseaux sociaux au quotidien. À quoi ressemblent tes journées de travail ?
J’essaye d’avoir des journées cadrées avec des horaires de bureau. C’est quelque chose qui me rassure et qui m’évite de partir dans tous les sens. Donc en général, je suis à mon bureau de 9h à 17h, le plus souvent à peindre ! Mais l’avantage de travailler chez moi, c’est aussi de pouvoir m’accorder des moments de liberté lorsque j’en ai envie. Donc cela m’arrive aussi de me prendre une heure pour aller câliner mes chats ou pour me poser un peu. J’essaye aussi de ne pas me forcer à travailler lorsque je ne suis pas dans le mood. De toute façon, comme mon travail consiste à dessiner, si je ne me sens pas inspirée, cela ne sert à rien de m’acharner ! Ne pas dessiner c’est aussi travailler : cela permet à mon cerveau de se reposer et à ma créativité de respirer un peu, pour mieux revenir plus tard.
Comment nourris-tu ton art au quotidien ?
Je me sens très inspirée par tous les artistes qui publient sur les réseaux. Je trouve hyper chouette d’avoir accès à de l’art aussi facilement de nos jours. J’aime aussi, comme je le disais, prendre du temps pour moi. J’ai remarqué que j’avais beaucoup plus d’idées lorsque je ne faisais rien. Le meilleur moment pour avoir des idées d’illustrations : le soir dans mon lit, quand j’essaye de m’endormir ! Du coup, mon téléphone est rempli de notes dessinées un peu moches, qui deviennent des illustrations par la suite.

Tu es très active sur Internet et les réseaux sociaux. Qu’est-ce que ces plateformes t’apportent professionnellement et personnellement ? Dans quelle mesure sont-elles importantes pour ton travail ?
Les plateformes les plus importantes pour moi à l’heure actuelle sont Instagram et Patreon. Instagram me sert de vitrine, comme un portfolio que des client·es peuvent regarder avant de me contacter par la suite. Cela me sert également à me connecter avec les personnes qui aiment mon travail ! Et Patreon me permet tout simplement d’être indépendante financièrement. J’aime aussi avoir ce lien plus “proche” avec les personnes qui me suivent sur ces réseaux : pouvoir parler plus en détail de mes illustrations, de mes collaborations, de ma vie en tant qu’illustratrice. Cela me fait beaucoup de bien !
Tu signes la couverture du N°5 d’Étonnantes, pour laquelle tu as eu carte blanche sur le thème « Transmettre ». Comment as-tu pensé cette illustration ?
J’ai beaucoup cherché avant de trouver ce que je voulais faire. J’étais inspirée par le mot “Transmettre” mais je ne savais pas quelle était la meilleure manière de représenter ce mot. Et au fil de mes recherches, j’en suis venue à avoir envie de deux choses : représenter un jardin, et représenter un lien entre une grand-mère et sa petite-fille. J’ai perdu mes grands-parents assez tôt et la transmission par ce biais est quelque chose qui me manque beaucoup ! Donc j’avais envie de parler de ça : comment une grand-mère transmet son savoir via le jardinage. Et puis, au dos du magazine, comment une grand-mère transmet son amour à sa petite-fille.

Que souhaites-tu transmettre à travers tes dessins ?
Du bonheur, des émotions positives, de l’inspiration ! J’aimerais que les personnes qui regardent mon travail se sentent bien, que cela mette un peu de soleil dans leur journée.
Tu assumes et partages tes doutes, tes émotions négatives, tes angoisses sur ton deuxième compte Instagram @mariegrognon. Pourquoi as-tu décidé d’être aussi transparente et qu’est-ce que t’apporte ce partage d’émotions ?
Les dessins que je partage sur ce compte sont avant tout purement égoïstes : cela me fait du bien de me “débarrasser” de ces émotions en les dessinant et en les publiant, c’est le départ de ce compte Instagram. Je les dessine très rapidement, je publie, et hop, c’est presque comme si je n’y pensais plus. Et puis, petit à petit, j’ai réalisé que cela parlait aussi à d’autres gens, qui se reconnaissaient dans ces dessins, donc c’est toujours chouette de se sentir moins seule !
Qu’aimerais-tu que l’on retienne de ton travail ?
Ce n’est pas une question facile ! J’aimerais que l’on retienne que mon travail me représente à 100% : à la fois joyeux, coloré, mais aussi parfois un peu plus triste et négatif, qui n’essaye pas d’enjoliver la réalité.
Propos recueillis par Solenn Cosotti
www.marieboiseau.com
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