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« La musique a toujours fait partie de ma vie, j’ai grandi avec elle, je me suis construite avec elle. » Shadé, dite Shadéblauck, est une autrice, compositrice, interprète de 29 ans, récemment installée à Nantes. Une artiste pleinement engagée. Engagée pour visibiliser les artistes féminines – elle a notamment co-créé le collectif de rappeuses XXFLY –, mais aussi pour libérer la parole autour des violences sexuelles. Dans son nouveau titre « Who I am », elle a ainsi le courage d’évoquer les violences subies lorsqu’elle était enfant. « La musique libère les pleurs, la joie, la colère, la peine, confie-t-elle dans l’interview à lire ci-dessous. Entendre le récit d’autres personnes donne la force de dénoncer ces violences, donne la force et le courage de se reconstruire, d’aller de l’avant. » 
Écrire pour dénoncer, chanter pour extérioriser, créer pour « partager encore et encore » et ainsi transmettre à d’autres le courage de témoigner, la force et l’espoir d’atteindre la guérison… C’est aussi cela, l’art de Shadéblauck. « Je parle de ma couleur et de l’histoire qui l’accompagne, du fait d’être une femme, des violences qu’on peut subir, de déchirure familiale. Je parle de la vie, de sujets qui nous touchent toutes et tous. » Interview.

Photographies de l’article : law_dreamerz

Quel a été ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?
Je suis tombée amoureuse de la guitare quand j’avais 7 ans, mon voisin jouait le Choros No 5 de Heitor Villa-Lobos sur mon balcon. J’ai tanné ma mère des jours et des jours pour prendre des cours de guitare. J’ai eu la chance d’entrer au conservatoire d’Evry la même année. Puis arrivée au collège, j’étais en classe à horaire aménagé en musique (CHAM). Le rythme était très intense : cours de chant, chorale, orchestre, danse contemporaine, percussion, guitare… Ça a duré quatre ans puis j’ai décidé d’arrêter, je saturais un peu et au conservatoire, on conserve la musique, on ne crée pas. Il n’y avait pas grande place pour la créativité. Je me suis remise à chanter et à écrire six ans plus tard, lors d’un voyage en Caroline du Nord “off the grid”, en pleine nature. En 2020, j’ai intégré le rap dans mes chansons. L’année suivante, je me suis installée à Nantes où j’ai co-créé le collectif de rappeuses XXFLY. En 2022, j’ai été présélectionnée pour les Inouïs du Printemps de Bourges [un festival dédié à l’émergence musicale] : cela m’a poussée à me professionnaliser et m’a permis de faire des scènes emblématiques à Nantes comme Stéréolux et Transfert. Cette même année, j’ai rencontré mon manager Clément Masson qui créait alors sa boîte de production « Stack Production ». Et aujourd’hui, en 2023, je dis : « Let’s spread the music to the world » !

Dans ta nouvelle chanson « Who I am », tu dévoiles les violences sexuelles que tu as subies et tu écris notamment dans le dossier de presse accompagnant la chanson : « Vous n’êtes pas seul·e ». Pourquoi as-tu décidé d’écrire sur ton histoire personnelle et les violences que tu as subies ?
Ma musique est intime, elle est le reflet de ce que je vis, de mes réflexions, mes rencontres. Chacun de mes textes est imbibé de mon histoire, de mes observations. Je ne me suis pas “décidée” d’un coup, j’avais besoin d’extérioriser tout ça. Comme dans toute œuvre/création il y a une part que l’on conscientise et une autre part qui nous dépasse. Ce texte était déjà écrit en moi avant que je ne l’écrive sur papier.
Lorsque j’écris “Vous n’êtes pas seul·e” c’est que malheureusement, nous sommes beaucoup trop nombreux et nombreuses à subir et à avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance et/ou dans la vie adulte. C’est important d’en parler, de mettre des mots sur ce que nous traversons, sur ce qu’il nous est arrivé. Entendre le récit d’autres personnes donne la force de dénoncer ces violences, donne la force et le courage de se reconstruire, d’aller de l’avant.

Tu expliques avoir gardé le silence sur ces violences durant 17 ans. Comment as-tu réussi à prendre la parole aujourd’hui et à en faire une chanson ?
Ce fut un long processus. Un très long processus. Conscientiser pleinement la violence qu’on subit prend du temps. On passe par des phases de déni, de minimisation, d’oubli… Je ne saurais pas dire comment exactement, peut-être les récits que certain·es de mes ami·es m’ont confié sur les violences qu’ils et elles avaient subies, peut-être des documentaires, des témoignages que j’ai regardés et écoutés. Peut-être le fait de grandir et de prendre en maturité, d’avoir davantage confiance en soi… Je pense que c’est un mélange de tout ça. Au début, j’ai eu du mal à partager cette musique, mais lorsque je l’ai fait, j’ai vu à quel point elle pouvait toucher, à quel point cela me faisait du bien. J’ai eu envie de partager cela encore et encore.

La musique peut-elle atténuer toutes les blessures selon toi ?
La musique peut atténuer certaines blessures, c’est certain. Je pense qu’il y a une distinction à faire entre celui ou celle qui écrit, compose et celui ou celle qui écoute. À travers la musique, on verbalise les émotions, on les image, on les peint en mélodie. C’est un processus puissant qui demande une prise de recul immense surtout lorsqu’on décide d’écrire sur des événements qui nous marquent profondément. Pour la personne qui écrit, qui compose, c’est thérapeutique. Pour la personne qui écoute également. Mais l’action est différente. L’écoute est une action “passive” dans le sens où nous recevons un message mais nous ne délivrons pas le nôtre. Je pense que la verbalisation et l’analyse de nos blessures, particulièrement lorsqu’elles sont traumatisantes, est primordiale. Dans ce cas, la musique est un déclencheur, disons que nous nous retrouvons devant la bonne porte, ensuite il nous faut trouver la clé pour l’ouvrir et aller plus loin.
Voilà pour la version “analytique”. Mais de façon plus synthétique oui, la musique atténue beaucoup de blessures, la musique libère les pleurs, la joie, la colère, la peine. Cela fait tellement de bien de traverser une expérience et d’écouter une musique qui décrit ce qu’on est en train de vivre à ce moment précis. On se dit “Wahoo ! c’est ce que j’ai sur le cœur et cet·te artiste met les mots dessus !” Cela résonne et raisonne, ça apaise.

Conscientiser pleinement la violence qu’on subit prend du temps.
On passe par des phases de déni, de minimisation, d’oubli.

L’art pour s’engager : est-ce ton intention ? Si oui, quels sont tes engagements ?
Mon art est sincère, il est intime. Je m’engage à être vraie dans ma vision et les messages que je transmets. Je m’engage à travers les sujets que j’évoque dans ma musique. Je parle de ma couleur et de l’histoire qui l’accompagne, du fait d’être une femme, des violences qu’on peut subir, de déchirure familiale. Je parle de la vie, de sujets qui nous touchent toutes et tous. À terme, j’aimerais proposer des ateliers d’ouverture à la parole et de création sur différentes thématiques car j’ai conscience du pouvoir des mots, du pouvoir de la musique dans la construction et la perception que l’on a de soi.

Que ressens-tu quand tu chantes ?
Lorsque je chante, je me sens à ma place. Je ressens tout : de la joie, de la tristesse, de la puissance, de la colère, de l’euphorie, du bien-être. Lorsque je chante, je peux laisser les émotions me traverser sans qu’elles ne m’abîment, je sublime ce que je vis. J’ai la sensation qu’en chantant je me connecte à l’Univers, qu’il y a une voie qui s’ouvre entre quelque chose de plus grand que moi et celles et ceux qui écoutent ma musique. Chanter avec son âme c’est comme se mettre en transe, on élève sa fréquence.

Avec quelles figures féminines as-tu grandi ? Des chanteuses, musiciennes, artistes ?
Une artiste française qui m’a beaucoup marqué c’est Zaho. J’adore sa plume, sa musicalité, sa personnalité. Son album « Dima » m’a tellement touchée que je connais tous ses sons par cœur.  Hélène Ségara et Isabelle Boulay sont deux queens de la chanson française à mes yeux, j’écoutais leurs albums en boucle à l’école primaire ! Diam’s également. Son album « Dans ma bulle » est un véritable classique, une masterclasse ! Nicki Minaj à ses débuts, j’étais complètement fan ! je m’amusais à recopier ses mimiques. Son album « Pink Friday » : wahoo ! Elle a ramené beaucoup de fraîcheur dans le rap avec ses perruques roses et ses alter-égo. Elle a cassé beaucoup de codes. Tout comme Missy Eliott. On m’a offert son album « Miss E so addictive » à mes 8 ans. J’étais fan, ses clips sont d’une créativité incroyable. Des couleurs partout, de la danse, des effets spéciaux ! Elle est vraiment unique.

Les 15 et 16 avril 2023, Nantes accueille le Festival « More women on stage » pour « mettre à l’honneur la présence des femmes et minorités de genre autant à l’avant de la scène que dans ses coulisses ». En tant que femme et personne racisée : quel est ton ressenti sur la place des femmes et des personnes racisées sur la scène musicale française en général, sur la scène Hip-hop/rap en particulier ? 
Je suis une femme noire, et non “racisée”. Je ne me définis jamais en utilisant ce terme. L’industrie musicale est à l’image des dynamiques inégalitaires qui régissent notre société. Le rapport 2023 du Centre national de la musique est accablant : seulement 14% de femmes programmées sur les festivals, que ce soit en programmation, production, diffusion, récompenses… D’où la nécessité de créer des espaces qui permettent de donner plus de visibilité à ces artistes. C’est une excellente initiative et pour ces raisons, nous avons fondé le collectif XXFLY. Nous voulons voir plus de femmes sur scène ! Et lorsqu’il s’agit d’artistes femmes et racisées, le combat est plus compliqué encore. Au sexisme s’additionne le racisme.

Justement, qu’est-ce que le collectif XXFLY dont tu fais partie ?
Le XXFLY Collectif est une association constituée de 7 rappeuses : Skarleina, Eris, Jomei, Nooj, Double C, Supa et moi-même. On a monté ce projet il y a un peu plus d’un an maintenant pour mettre en lumière les rappeuses nantaises. On organise des concerts, des open mic [micro ouvert à toustes], des ateliers, des battles. Ce qui nous lie c’est notre passion : le rap, l’écriture et avant tout le cœur du projet c’est notre amitié et notre envie de nous soutenir les unes et les autres. On a à cœur de créer des espaces où les rappeuses peuvent s’exprimer librement, des espaces de partage, de rencontres autour de notre passion. L’an passé nous avons organisé le premier battle rap d’Europe en mixité choisie. Et cette année nous avons à nouveau la chance de participer au festival des l’association les fameuses [le 27 juin 2023 au théâtre Graslin, à Nantes].

Nous voulons voir plus de femmes sur scène !

Qu’est-ce qui t’inspire pour écrire & composer ?
Ma vie principalement, les personnes que je rencontre, mes émotions. Tout peut être source d’inspiration.

Que souhaites-tu transmettre à travers ta musique ?
Bonne question ! J’aime écrire des textes touchants, tout comme j’aime écrire des chansons qui poussent à se sentir mieux. Avant tout, je veux transmettre une bonne énergie. Je veux pousser les gens à se poser des questions, les encourager à l’introspection et au lâcher-prise. On a tendance à fuir beaucoup de nos émotions et on vit dans un monde qui ne nous laisse pas le temps. Ma musique est un espace où l’on se reconnecte à soi, aux autres, au monde qui nous entoure. Voilà mon intention quand j’écris.

Et demain, comment envisages-tu la suite de ta carrière ?
Je travaille actuellement sur une nouvelle formule, je veux intégrer des musicien·nes à mon projet. Continuer à produire de la musique de qualité. Vivre de mon art, faire de belles scènes et de belles rencontres.

https://www.facebook.com/shadeblauck/?locale=fr_FR

Publié par :Solenn Cosotti

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